Coalition artillerie : « aider l’Ukraine à construire son artillerie du futur »
Le général Jean-Michel Guilloton a pris la direction de la coalition « Artillerie pour l’Ukraine », lancée par le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, le 18 janvier dernier. À l’occasion du point presse du ministère des Armées, le général a présenté cette coalition dont le but est de renforcer le soutien militaire à Kiev. Interview.
En quoi le conflit en Ukraine a-t-il changé la donne en matière d’artillerie ?
Entre la première guerre du Golfe en 1991 et le déclenchement de la guerre en Ukraine, nous avons traversé un cycle de conflits asymétriques. Ces missions de contre-ingérence et de contre-terrorisme mobilisaient plutôt les forces spéciales, l’infanterie légère et le renseignement face à un adversaire qui s’apparentait davantage à un terroriste en pick-up qu’à des forces blindées.
L’invasion russe de l’Ukraine marque le retour à la case « conflit de haute intensité », avec l’utilisation de forces blindées mécanisées fortement appuyées par de l’artillerie, comme nous l’avions connu jusqu’à la fin de la Guerre froide. Une artillerie sol-air pour protéger les forces blindées mais aussi sol-sol pour en appuyer la manœuvre. La masse devient une des clefs du succès, à la fois en nombre de lanceurs et en tonnage d’obus. De plus, la stabilisation du front ukrainien sollicite d’avantage l’artillerie pour agresser l’adversaire. Et puis, il y a un phénomène nouveau par rapport aux conflits mondiaux : la capacité des frappes dans la profondeur. Aujourd’hui, l’artillerie n’est pas faite seulement de canons ou de mortiers, mais aussi de lance-roquettes à très longue portée, dont certains systèmes peuvent porter jusqu’à 150 kilomètres. C’est donc le grand retour de l’artillerie.
Ukraine : la coalition artillerie est lancée
Lire l'articleQu’est-ce que la coalition capacitaire « Artillerie pour l’Ukraine » et quelles sont ses missions ?
La coalition artillerie est une manière de structurer d’avantage l’aide apportée par les nations alliées à l’Ukraine. Dès l’invasion russe, les États ont rapidement apporté leur soutien mais de manière non coordonnée. La cinquantaine d’États du Groupe de contact pour la défense de l'Ukraine, aussi appelé « format Ramstein », a décidé sur proposition des États-Unis le 19 septembre 2023 de créer des grandes coalitions capacitaires. Elles sont divisées par grandes fonctions opérationnelles. Parmi elles : les forces aériennes, la sécurité maritime, la défense sol-air, les blindés et l’artillerie sol-sol. Leur vocation est alors d’organiser l’aide occidentale et les besoins ukrainiens pour les faire correspondre du mieux possible sur un segment opérationnel.
À quels besoins des Ukrainiens cette coalition va-t-elle répondre ?
Notre mission a deux horizons : un à court terme et un autre à long terme. Notre premier objectif est de répondre aux besoins urgents des Ukrainiens. Aujourd’hui cela concerne surtout les munitions afin de contrebalancer le rapport de force qui est près de 1 contre 6 en faveur des Russes. Cela signifie que lorsque six obus russes tombent sur les positions ukrainiennes, les Ukrainiens ne peuvent riposter qu’avec un seul obus. Le second besoin urgent concerne la maintenance afin de rendre le matériel en panne de nouveau opérationnel.
À plus long terme, notre objectif est d’aider l’Ukraine à construire son artillerie du futur et à la rapprocher des standards de l’Otan. Cela nécessite une véritable transformation car leur artillerie utilise beaucoup de pièces qui datent de l’ère soviétique. Dans cette optique, il faut former les utilisateurs de pièces du matériel cédé mais aussi des maintenanciers, des chefs de section, des officiers d'état-major et des spécialistes de la chaîne et du ciblage.
Concrètement, comment cette coalition s’organise-t-elle ?
La France est la nation leader de cette coalition et les États-Unis en sont co-leaders. La partie ukrainienne est également représentée pour confirmer ses besoins, c’est essentiel. Le reste est organisé en quatre sous-groupes selon une approche capacitaire : les systèmes d’arme, les munitions, l’environnement et la formation. Le but : avoir une vision sur toutes les facettes d’une fonction opérationnelle.
Pourquoi la France a-t-elle pris la tête de cette coalition ?
L’artillerie est inscrite dans l’Histoire française. Nous pouvons remonter à Louis XIV et la création du premier régiment d’artillerie en 1671. D’ailleurs, ce régiment assure aujourd’hui la formation des artilleurs ukrainiens à l’utilisation du lance-roquette unitaire. À cette dimension historique s’ajoute l’excellence industrielle. La société Nexter en est une illustration, à travers la production du canon Caesar. Pour moi, ce canon est le meilleur compromis entre mobilité, protection, puissance de feu, portée et précision. La France est enfin légitime de prendre la tête de cette coalition au regard du matériel d’artillerie cédé à l’Ukraine : une trentaine de Caesar alors que nous en disposions que de 75, quatre lance-roquettes unitaires, des canons TRF1 et des mortiers de 120 millimètres.
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