Les 7 enseignements stratégiques de la guerre en Ukraine

Direction : Ministère des Armées / Publié le : 26 février 2024

Retour de la rhétorique nucléaire en Europe, profondeur stratégique, transparence du champ de bataille… À l’occasion du point presse du ministère des Armées du 22 février, le général Vincent Breton, directeur du Centre interarmées de concepts, de doctrines et d'expérimentations, a précisé les sept grandes leçons à retenir du conflit en Ukraine.

Général V. Breton, directeur du Centre interarmées de concepts, de doctrines et d'expérimentations © Ministère des Armées

Vous évoquez régulièrement les sept enseignements stratégiques du conflit. Quels sont-ils ?

  1. Le changement d’échelle dans l’intensité de la guerre avec le retour de la guerre de haute intensité et de la rhétorique nucléaire aux portes de l’Europe.
  2. Cette guerre se déroule dans les sept milieux et champs de conflictualité.
  3. Il est de plus en plus difficile de se cacher sur le champ de bataille, ce dernier étant de plus en plus transparent.
  4. En dépit de cette transparence, il est toujours aussi difficile d’apprécier les intentions et les capacités de ses adversaires.
  5. La guerre demeure un affrontement des volontés et des forces morales.
  6. Le besoin de disposer d’une grande profondeur stratégique pour durer dans une guerre aussi longue.
  7. L’agilité, l’innovation et la capacité d’adaptation sont des facteurs clés de suprématie.

Quel impact le retour de la rhétorique nucléaire a-t-il sur le conflit ?

La dialectique nucléaire conditionne l’appréciation de la nature du conflit et la réaction de tous les protagonistes, y compris de ceux qui ne sont pas considérés comme des cobelligérants. On a coutume de dire que c’est une guerre de sanctuarisation agressive placée sous la voûte nucléaire. Moscou a très régulièrement cherché à intimider et à contraindre en menaçant d’escalade nucléaire.

La guerre se joue-t-elle dorénavant dans le cyberespace ?   

La conflictualité s’étend aux nouveaux domaines que sont le cyber et le champ informationnel. Dans le premier, les attaques ont été nombreuses et ont produit des effets significatifs. Mais elles n’ont pour autant pas été décisives car l’Ukraine s’y était bien préparée et a su s’en protéger. Dans le second, bien que désinformation et propagande ne soient pas nouvelles, les réseaux sociaux et l’hypermédiatisation des sociétés les renforcent et donnent un rôle décisif à cette bataille informationnelle menée par les deux belligérants.

Ces nouveaux milieux se sont-ils substitués aux anciens espaces de conflictualité ?

Non. Loin de les remplacer, les nouveaux espaces s’ajoutent aux milieux traditionnels - terrestre, maritime, aérien, exo-atmosphérique et le champ électromagnétique. Le milieu terrestre reste d’ailleurs le lieu principal des batailles de haute intensité avec un enjeu de conquête ou de reconquête des territoires. On redécouvre les champs de mines, les combats de tranchées, les combats d’artillerie.

Vous parlez de la difficulté à se cacher sur le champ de bataille. Qu’entendez-vous par là ?

Le champ de bataille est aujourd’hui plus « transparent » qu’il ne l’a jamais été. Les satellites d’observation militaires et civils, les drones, le renseignement électromagnétique, les sources ouvertes, les réseaux sociaux, les populations avec leurs smartphones sont autant de capteurs qui permettent de dissiper une partie du « brouillard de la guerre ». Par exemple, avec les mini et micro drones, lorsque les conditions météorologiques sont favorables, le moindre mouvement de l’adversaire est repéré. Il est ainsi extrêmement difficile de s’en cacher.

Malgré cette difficulté à se cacher, pourquoi reste-il très compliqué d’appréhender les intentions de son adversaire ?

La transparence du champ de bataille est paradoxalement contrebalancée par une grande difficulté à saisir les intentions de l’adversaire pour une raison principale : les décisions majeures sont souvent prises dans des cercles très fermés au sein desquels la rationalité nous échappe. Avant qu’elle ne débute, cette guerre paraissait improbable à de nombreux experts avisés, ayant une très fine connaissance de la Russie. Ils considéraient fort justement que cette guerre était ingagnable pour la Russie et qu’elle aurait pour elle un coût exorbitant. Mais en dépit de cette analyse très rationnelle, la passion l’a emporté sur la raison.

En quoi la guerre est-elle également un affrontement des forces morales et des volontés ?

Le concept de forces morales agrège des valeurs fondamentales de courage, d’aguerrissement, de détermination ou encore de confiance des soldats dans leur mission, leur chef, et la cause qu’ils servent. Les équipements performants ne peuvent se suffire à eux seuls et doivent être utilisés par des femmes et des hommes dotés de solides forces morales. La vigueur des forces morales des soldats ukrainiens est d’abord due au fait qu’ils défendent leur « mère patrie », mais aussi à la cohésion, la mobilisation et la résilience de la nation entière qui fait corps derrière ses soldats. Depuis deux ans, l’Ukraine nous montre que dans un conflit de haute intensité, être et durer n’est possible qu’avec une nation unie derrière soi.

Qu’est-ce que la profondeur stratégique et pourquoi joue-t-elle un rôle si important dans la bataille ?

La profondeur stratégique renvoie à l’ensemble des ressources (territoriales, matérielles ou humaines) mobilisables par chacune des parties pour atteindre ses objectifs. L’accès à ces ressources est indispensable pour durer et, à terme, l’emporter dans un conflit de haute intensité.

La comparaison des profondeurs stratégiques des deux belligérants a longtemps laissé penser, par son déséquilibre apparent, qu’il était impossible que cette guerre puisse durer si longtemps. Cependant, alors que la Russie dispose d’une profondeur stratégique à l’échelle d’un continent très riche en matières premières et en stock d’armement et de munitions, l’Ukraine tire la sienne du soutien massif et décisif des Occidentaux.

Les deux belligérants s’appuient énormément sur leurs capacités d’agilité et d’innovation. Quelles sont-elles concrètement ?

La principale innovation que l’on perçoit concerne les drones et plus précisément les mini et micro drones de moins de 25 kg. Ces drones sont partout, sous des formes diverses et pour des usages variés. Les Ukrainiens ont su compléter de manière redoutable leur capacité d’artillerie par des drones kamikazes extrêmement efficaces.

Cependant, il suffit de quelques mois à l’un des belligérants pour s’adapter et trouver la parade à une innovation développée par son adversaire, et rendre ainsi certains de ses équipements obsolètes. Dans cette guerre, la boucle de l’adaptation entre le glaive et le bouclier est d’une très grande rapidité.

Guerre en Ukraine : le dossier

Retrouvez ici nos décryptages pour mieux comprendre les enjeux et les origines de cette guerre en Europe.

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