La très haute altitude : un nouvel espace de conflictualité ?

[Salon du Bourget 2023 : la 3e dimension au cœur des opérations] Jusqu’à présent, la très haute altitude n’était pas exploitée. Mais l’apparition de ballons atmosphériques, de drones capables d’y voler, de planeurs hypersoniques ou de satellites en orbite basse change la donne. Explications avec le colonel Guillaume Bourdeloux, du Commandement de l’espace.

 

Illustration du Commandement de l’espace (CDE) © Ministère des Armées

Communément, la très haute altitude est définie à une hauteur comprise environ entre 20 et 100 kilomètres d’altitude au-dessus de la Terre. Est-il possible d’établir une limite exacte ?  

Les limites hautes et basses de la très haute altitude ne sont pas unanimement établies. La doctrine de nos opérations spatiales militaires stipule qu’elles se déroulent en accord avec l’approche « fonctionnelle » défendue par la France dans les instances internationales. Cette approche est basée sur la fonction et la mission de l’objet spatial : s’il a vocation à parcourir une orbite ou d’être satellisé au-delà de l’orbite terrestre, le droit des activités spatiales lui sera appliqué. L’autre approche, appelée « spatialiste », consiste à établir une limite basse à l’espace extra-atmosphérique située entre environ 80 et 120 km. Il peut être fait référence à la ligne de Kármán, comme l’a fait par exemple la Fédération aéronautique internationale. Toutefois, cette limite n’est pas communément acceptée par l’ensemble des Nations comme limite haute de la très haute altitude et basse de l’espace extra-atmosphérique.

Il n’existe pas non plus de consensus sur une limite haute à l’espace aérien, contrairement à ce qu’on a pu lire dans différents médias avec l’affaire du ballon chinois, à savoir la ligne des 20 kilomètres et donc le fait que la France puisse exercer sa souveraineté jusqu’au niveau de vol au-dessus du territoire national. La souveraineté étatique ne s’arrête pas à la limite des capacités techniques. L’espace aérien contrôlé ne correspond donc pas à l’espace aérien souverain.

Quel cadre juridique s’applique-t-il à la très haute altitude ?

La très haute altitude n’est pas dénuée de cadre juridique : elle sera en effet soumise au droit aérien ou au droit de l’espace, selon l’approche que les Etats décideront d’appliquer - fonctionnaliste ou spatialiste. Depuis de nombreuses années, l’espace aérien traditionnel et l’espace extra-atmosphérique procurent des intérêts économiques et militaires aux grandes puissances. La très haute altitude, elle, n’a suscité jusqu’à maintenant que très peu d’activités. Mais, désormais, face à leur foisonnement et à la variété des objets y évoluant, il est nécessaire d’élaborer une stratégie pour comprendre ce qu’il se passe dans cette zone et de définir le besoin capacitaire correspondant.

En quoi consistera la stratégie de l’armée de l’Air et de l’Espace ? Où en est-on aujourd’hui de son avancement ?

Cette stratégie à la charge de l’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace a été commandée par le chef d’état-major des armées. Elle devrait être achevée cet été. Elle se concentre sur trois fonctions stratégiques : « connaissance – compréhension - anticipation », « protection » et « intervention ». Il s’agit de comprendre et de déterminer les grands enjeux de la très haute altitude et d’encadrer sa protection et son utilisation. Maitriser le domaine de la très haute altitude nous permet de nous protéger d’une menace issue de cette zone, mais également de l’utiliser en notre faveur pour agir depuis, vers et à travers elle. L’élaboration de cette stratégie a ensuite pour vocation d’assurer la prise en compte de la très haute altitude dans les doctrines et les publications de niveaux interarmées et armées le nécessitant.

« Nous pouvons imaginer que la très haute altitude sera utilisée de manière permanente, au même titre que l’aviation et l’espace aujourd’hui. »

Colonel Guillaume Bourdeloux

  • Commandant la brigade aérienne des opérations spatiales (BAOS) du commandement de l’Espace (CDE)

Aujourd’hui, comment la très haute altitude est-elle utilisée ?

Les couches les plus hautes de l'atmosphère terrestre sont de plus en plus investies par des engins d'espionnage ou d'attaque, souvent encore expérimentaux. La prolifération des technologies hyper véloces accentue la présence des grandes puissances. Des aéronefs de plus en plus véloces, des missiles et des planeurs hypersoniques évoluent ainsi en très haute altitude. A l’autre bout du spectre, des ballons stratosphériques et dirigeables sont statiques et capables de rester en l’air très longtemps. Ils peuvent ainsi observer, écouter, relayer des communications et élaborer des positions. Toutes ces techniques ne sont pas encore totalement démocratisées. Mais elles existent et sont pressenties pour se développer rapidement.

Quelles sont les menaces actuelles en très haute altitude ?

Les menaces les plus imminentes sont l’espionnage et l’écoute à travers d’engins lents et persistants présentant des capacités duales. Par ailleurs, en œuvrant en très haute altitude, certains objets, grâce à leur fugacité, ne sont pas détectés par les systèmes de défense aérienne. Il s’agit notamment des missiles de croisières hypersoniques volant entre 20 et 30 km d’altitude et des planeurs hypersoniques évoluant entre 50 et 70 km. Ces armes ou vecteurs porteurs d’armement transitant par cette zone sont capables de nous frapper. Ils représentent donc aussi une menace.

D’un point de vue militaire, quels sont les avantages à être présent dans la très haute altitude?

Le principal avantage à exploiter la très haute altitude provient de l’absence d’un grand nombre de nos compétiteurs dans cette zone et donc le fait de ne pas être vus ni interceptés. Dans les tranches d’altitude classiques, un ballon est plus difficile à détecter qu’un satellite ou qu’un aéronef. Selon le cadre juridique applicable à cette zone (aérien ou spatial), en découlent des conséquences de souveraineté et ainsi d’utilisation de cette tranche, comme la libre circulation pour un satellite d’observation et donc la liberté de prise d’images. A l’inverse, si nous appliquons le droit aérien et le principe de souveraineté associé, un aéronef ou un ballon devra demander aux Etats de survoler leur territoire. De plus, il peut être difficile de distinguer un ballon espion d’un ballon météorologique, dont l’utilisation est fréquente. Les satellites sont, eux, en principe immatriculés et suivis. Aujourd’hui, l’espace est finalement bien plus observé et surveillé que la très haute altitude. Enfin, il y a un intérêt économique dans l’utilisation de la très haute altitude : déployer un ballon est, par exemple, bien moins cher qu’un satellite.

Le Commandement de l’espace

Créé en 2019, le Commandement de l’espace (CDE) est dirigé par le général de division aérienne Philippe Adam. Son objectif : améliorer l’efficacité opérationnelle, la cohérence, la visibilité et la simplicité de l’organisation et de la gouvernance du spatial de défense au sein du ministère des Armées. Les différentes activités du CDE sont dispersées entre les sites de Toulouse, Lyon, Creil et Paris.

Les ballons chinois

Le 4 février 2023, un ballon chinois, supposé espion par le Pentagone, apparait dans la haute atmosphère américaine. La Chine soutient qu'il s'agit d'un aéronef civil. Un avion F-22 de l'US Air Force abat l’engin au large de la Caroline du Sud. Avant son interception, le ballon a eu le temps de parcourir plus de 3 000 kilomètres en cinq jours au-dessus des Etats-Unis.

Salon du Bourget 2023 : le dossier

Le Salon international de l’aéronautique et de l’espace 2023 se tient au parc des expositions de Paris - Le Bourget du 19 au 25 juin. Retrouvez ici tous nos décryptages pour mieux comprendre les enjeux de la lutte pour la maîtrise des espaces aérien et spatial.

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