[Esprit défense n°10] « L’armée de l’Air et de l’Espace, 90 ans d’audace, d’engagement et d’innovation »

Direction : Ministère des Armées / Publié le : 29 février 2024

Sécurisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris, mise en œuvre de la nouvelle loi de programmation militaire, anniversaire de l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE), mais aussi des sujets plus personnels : le général Stéphane Mille, chef d’état-major de l’AAE, est l’invité d’Esprit défense n°10 en cette année 2024 chargée.

Dans le bureau du général Stéphane Mille, lors de l’entretien avec Esprit défense, le 16 janvier. © ADC Sébastien Lelièvre/Dicod/Ministère des Armées

2024 marque les 90 ans de l’armée de l’Air, devenue armée de l’Air et de l’Espace en 2021. Que représente cet anniversaire ?

Général d’armée aérienne Stéphane Mille : Ces 90 ans, ce sont 90 ans d’audace, d’engagement et d’innovation. On pourrait même dire 90 ans de progrès. Depuis 1934, le bond a été phénoménal. Ce n’est d’ailleurs pas propre à l’armée de l’Air, mais au milieu aéronautique en général. Celui-ci a subi une évolution vertigineuse, des premiers appareils faits de toile et de bois jusqu’au dernier standard du Rafale ainsi qu’aux avions commerciaux qui volent avec du biocarburant et développent une propulsion à hydrogène. Plus globalement, le secteur a franchi des étapes structurantes en un peu plus d’un siècle et nous, aviateurs, nous appartenons à son histoire. L’aéronautique civile et l’aéronautique militaire volent en patrouille, les progrès réciproques nous tirent mutuellement vers le haut !

Comment cet anniversaire va-t-il se matérialiser ?

Ce sera une fête collective, centrée autour des 40 800 aviateurs et de leurs familles. Chaque commandant de base aérienne organisera une journée anniversaire sur son site en présence de l’un des « ambassadeurs1 » de l’AAE, en conviant la jeunesse locale et les associations du souvenir. L’École de l’Air, berceau des premiers aviateurs, est née à la Petite Écurie de Versailles ; plusieurs structures de l’armée de l’Air y étaient alors installées. Une cérémonie particulière s’y tiendra le 27 juin au soir, comme un retour à nos racines. Un colloque international regroupant nombre de mes homologues est également programmé au Palais des Congrès le lendemain. Ce même 28 juin, un événement grand public, avec des démonstrations aériennes, se tiendra dans les jardins du château avant les grandes eaux nocturnes. Il y aura une belle surprise. Je n’en dis pas plus, mais ce ne sera pas uniquement le passage de la Patrouille de France (rires).

Avec des élèves des « Escadrilles air jeunesse » sur la base aérienne 702 d’Avord, 30 septembre 2023 © ADC Jean-Luc Brunet/armée de l’Air et de l’Espace/Défense

Un autre rendez-vous, plus opérationnel, vous attend : la sécurisation des Jeux olympiques et paralympiques (JOP). Outre ses missions de sûreté aérienne lors d’un tel événement, l’AAE coordonnera la lutte antidrone au niveau interministériel. Qu’est-ce que tout cela implique ?

Environ 2 000 aviateurs seront mobilisés. Le défi sera d’assurer une protection dans la durée – plus d’un mois au total –, sur 35 sites dispersés partout en France et couvrant plus de 40 événements majeurs. Pour la seule lutte antidrone, cela représentera 20 000 heures de surveillance. En comparaison, le 14 Juillet, c’est 40 heures ; la Coupe du monde de rugby, où nous étions aussi en première ligne, c’était environ 2 000 heures. Pour les JOP, ce sera donc dix fois plus ! Ces chiffres montrent bien l’ampleur de cette mission. Le Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes travaillera avec tous les acteurs des armées et des forces de sécurité intérieure qui disposent de moyens de lutte antidrone. Il s’agira de coordonner l’ensemble de ces systèmes pour garantir une couverture optimale. Nous avons ainsi défini des standards, mis en réseau des systèmes qui n’avaient pas vocation initialement à travailler ensemble, et intégré tout cela dans une structure unique. L’objectif : disposer d’une présentation globale de la « situation drone » et, le cas échéant, déléguer des règles d’engagement pour détecter, identifier, brouiller, intercepter ou détruire des engins malveillants.

Vous avez déjà pu éprouver ce dispositif lors de la Coupe du monde de rugby…

Oui, et cela a confirmé le bon fonctionnement de notre système de mise en réseau. Nous avons eu affaire à une cinquantaine de drones non autorisés dans les zones interdites. Nous les avons détectés et identifiés. Certains ont fait l’objet de brouillages, voire ont été neutralisés, tandis que les forces de sécurité intérieure interceptaient leurs téléopérateurs. La plupart de ces derniers ne connaissaient pas la réglementation et n’étaient pas malveillants. Il n’empêche : les capacités d’action ont été confirmées.

Les JOP, c’est aussi l’Armée de champions du ministère des Armées. Parmi eux, plusieurs aviateurs, comme l’escrimeur Enzo Lefort ou la kitesurfeuse Lauriane Nolot. Combien de médailles espérez-vous ?

La devise de Guynemer était : « Tant qu’on n’a pas tout donné, on n’a rien donné. » J’ai donc plutôt un objectif d’état d’esprit. Un aviateur, c’est quelqu’un qui veut gagner. Si nos représentants mettent toutes leurs tripes dans la compétition, l’objectif sera atteint. En attendant, j’ai bien l’intention d’aller les voir s’entraîner. La consigne que j’ai donnée en interne, c’est d’ailleurs de montrer notre soutien aux sportifs pendant toute leur préparation.

2024 marque également la première année de la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030. Le ministre Sébastien Lecornu a demandé à tous de « prendre des risques » pour la réussir. Pour l’AAE, qu’est-ce que cela signifie ?

Prendre des risques, c’est anticiper au mieux le besoin de demain, et donc ne pas se tromper dans les choix pour les combats à venir. Or anticiper implique une prise de risque sur le mode « vaut-il mieux s’engager dans telle ou telle technologie, dans tel ou tel secteur ? » Un exemple : la LPM prévoit un effort jamais vu sur la défense sol-air. Elle sera renouvelée à 100 % d’ici à 20302. Est-ce une prise de risque ou une mise à niveau indispensable dans un secteur plutôt connexe jusqu’à présent ? Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que nous avons mis le « paquet » dans ce domaine. C’est donc une prise de risque puisque, en contrepartie, les efforts augmentent moins ailleurs. Cela nous oblige à tirer les leçons du présent – celles des conflits ukrainien et israélien sont à ce titre importantes – et à disposer d’une vision sur le matériel nécessaire lors des combats les plus probables de la prochaine décennie, voire de la suivante. Prendre des risques, c’est aussi être capables de remettre en cause nos processus et nos organisations dans un esprit de simplification et d’efficacité opérationnelle. Nous développons ainsi des synergies avec les industriels pour aller plus vite et être plus efficaces dans l’emploi, le soutien et l’entretien de nos matériels, ainsi que pour disposer d’une approche adaptée au contexte.

Justement, mi-janvier, une commande de 42 Rafale, la première depuis 2009, a été passée. Une fois livrés à partir de 2027, à quoi serviront-ils ?

Cette commande illustre la modernisation de notre outil en vue des combats de demain. En parallèle de la livraison de ces 42 Rafale, les Mirage 2000 seront progressivement retirés. Comme le Président de la République s’y était engagé au début des travaux de la LPM, nous sommes donc clairement sur la trajectoire vers le « tout Rafale ». Au-delà de cette nouvelle ère, nous développons aussi de nouveaux standards pour ces Rafale. Je pense bien sûr au standard F5. Il nous permet d’avancer sur le chemin de la connectivité, et donc du combat aérien du futur.

Cela nous amène au Système du combat aérien du futur (Scaf). Après les turbulences politiques et industrielles qui ont ralenti le projet, une mise en service à l’horizon 2040 est-elle toujours à l’ordre du jour ?

Oui, mais, comme vous le savez, il est toujours délicat de se prononcer sur une date précise. Je ne veux pas effectuer une course à la mise en service d’un matériel. Je veux disposer du matériel qui répond à la menace telle que je l’anticipe. Certes, l’année 2022 a été un peu compliquée pour mettre d’accord les industriels. Mais ce que je peux vous dire aujourd’hui, c’est que le travail avance, et qu’il avance bien ! Les équipes sont alignées sur la feuille de route et sur les jalons intermédiaires.

L’AAE, ce ne sont pas seulement des pilotes de chasse, mais aussi de nombreux personnels navigants ou au sol. Outre la défense sol-air dont nous venons de parler, comment la LPM va-t-elle leur permettre de mieux travailler ?

Je vais prendre deux cas précis. Tout d’abord, la simulation et l’innovation, en particulier l’intelligence artificielle. Nous souhaitons déployer cette dernière dans tous les secteurs, comme la maintenance prédictive ou l’optimisation de la formation des pilotes. Par exemple, si nous pouvons mieux identifier les forces et les faiblesses de chacun, nous pouvons adapter un cursus de formation à l’individu. Ensuite, l’espace. Si nous n’y sommes pas présents, l’AAE aura des difficultés pour acquérir la supériorité opérationnelle indispensable afin que l’ensemble des armées puissent mener leurs opérations au sol et en mer. La LPM possède donc une dimension spatiale ambitieuse. Nous attendons le lancement du troisième satellite d’observation CSO3 et d’un certain nombre d’engins qui nous permettront d’entrer pleinement dans une logique de défense active de l’espace, c’est-à-dire d’être capables d’opérer sur les orbites. L’autre défi dans ce secteur, c’est la protection des communications satellitaires. Je rappelle que la guerre en Ukraine a commencé par des attaques cyber et par un brouillage des satellites pour couper les communications ukrainiennes.

Notre dossier central est consacré à l’Indopacifique. Depuis 2021, l’AAE y mène chaque été la mission Pégase pour démontrer sa capacité de « projection de puissance » loin de la métropole. Quid de 2024 ?

Cette mission prend de plus en plus d’importance, en matière de rayonnement, d’influence, d’entraînement de haute intensité avec nos partenaires de la région ou de signalement stratégique vers nos compétiteurs. Le message, c’est que nous sommes capables de projeter un dispositif conséquent en quelques heures pour protéger nos intérêts et nos ressortissants, où qu’ils se trouvent. En 2024, nous passons à l’étape supérieure, puisque Pégase aura une dimension européenne. Avec les Allemands et les Espagnols, nous prendrons la route de l’Ouest et nous nous arrêterons en Alaska pour un exercice de haute intensité avec les Américains. Avec les Britanniques, nous emprunterons la voie plus classique de l’Est. En Indopacifique même, le point d’orgue sera un entraînement de haute intensité organisé en Australie.

Avec son homologue japonais, lors de la mission Pégase, au Japon, le 27 juillet 2023. © CCH Emma Le Rouzic/armée de l’Air et de l’Espace/Défense

Vous avez accompli la plus grande partie de votre carrière opérationnelle sur Mirage 2000. Est-ce toujours votre appareil préféré ?

En tant que chef d’état-major, je continue à voler – à l’arrière ! – sur tous nos appareils. Mais j’avoue avoir un petit pincement au cœur quand je monte dans un Mirage 2000. Dès que je m’installe dans le cockpit, tout me revient et je m’y sens naturellement à l’aise. À l’inverse, dans un Rafale, je me demande parfois à quoi sert tel ou tel bouton (rires).

Lors d’une intervention chez nos confrères de Skyrock PLM4 vous avez révélé que vous aimiez jardiner, bricoler ou maçonner. Quelle est votre dernière réalisation ?

Ces activités me vident l’esprit. Je suis au grand air, loin du tumulte, et je peux me laisser aller. Ma dernière réalisation, c’est une allée en pavés. Elle me permet de rentrer ma voiture sur un terrain qui mène au garage. Avec le peu de temps dont je disposais, j’ai mis quelques années à la terminer !

Recueilli par Fabrice Aubert.

1Unités de l’AAE chargées de promouvoir ses capacités, aussi bien en France qu’à l’international : Patrouille de France, Rafale Solo Display, équipe de Voltige, A400M Tactical Display, équipe parachutiste Phénix, formations musicales, peintres de l’Air et de l’Espace.

2Les huit systèmes sol-air moyenne portée Mamba auront été remplacés par huit systèmes dits de « nouvelle génération ».

3Composante spatiale optique

4Skyrock pour les militaires, radio spécialisée diffusée par Skyrock sur Internet.

Indopacifique : le défi de la stabilité

Vaste ensemble qui s’étend du sud de l’Afrique au nord de l’Asie, l’Indopacifique est au cœur des tensions internationales. Face aux menaces qui pèsent sur ce carrefour de la mondialisation, comment les armées françaises œuvrent-elles à préserver la stabilité régionale ?

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