Missak Manouchian, portrait par Denis Peschanski

Le 21 février 2024, Missak Manouchian entrera au Panthéon, accompagné de son épouse Mélinée. Ce résistant, orphelin du génocide des Arméniens, a dirigé d’août à novembre 1943 les FTP-MOI qui menaient la lutte armée dans la capitale. A l’issue du procès dit de l’Affiche rouge, il est fusillé au Mont-Valérien le 21 février 1944.

Auteur : Denis Peschanski

Missak Manouchian © Images SHD

Missak Manouchian est né en 1906 dans le village d’Adiyaman, dans le sud de l’actuelle Turquie, au sein d’une famille paysanne arménienne. Il perd ses parents très jeune, en 1915 : ils sont victimes du génocide des Arméniens, perpétré par l’Empire ottoman. Son frère Garabed et lui sont cachés par des Kurdes puis élevés au sein d’un orphelinat français au Liban, devenu protectorat français : c’est là que Manouchian apprend le français et s’imprègne de la culture française, tout en apprenant le métier de menuisier. En 1924, il émigre à Marseille où il travaille, avec son frère, dans les chantiers navals de la Seyne-sur-Mer avant de rejoindre Paris, quelques mois plus tard. C’est encore un drame qui l’atteint en 1927 quand Garabed meurt de tuberculose. Il est embauché chez Citroën, mais va ensuite de petits métiers en petits métiers, surtout avec la crise économique. Dans le même temps il écrit des poèmes, sa passion, fonde deux revues littéraires avec des amis1 puis devient rédacteur-en-chef du journal Zangou.

1 Tchank (« L’Effort ») et Machagouyt (« Culture »)

Très vite, il s’engage dans diverses actions militantes. On sait qu’en 1931, au plus tard, il entre dans la mouvance communiste et adhère bientôt au PCF au moment des émeutes de février. On lit ainsi dans son carnet de 1934, à la date du 17 janvier : « J’ai un désir infini d’entrer dans les rangs du Parti communiste et de me consacrer à la lutte sociale ». Il est vrai qu’au sortir de la Première Guerre mondiale et devant l’afflux d’immigrés arrivés pour aider à la reconstruction, le PCF avait décider de constituer des groupes spécifiques de la Main d’œuvre étrangère, une MOE devenue dans les années 1930 la MOI (main d’œuvre immigrée) avec une série de groupes de langues. Tel fut le cas du groupe arménien que rejoignit donc Missak Manouchian et où il occupa rapidement des responsabilités. Il siège à la direction du Comité de secours à l’Arménie (le HOK)1.

Dès le 2 septembre 1939, peu avant la déclaration de guerre, Manouchian est arrêté comme communiste étranger, dans la suite du Pacte germano-soviétique, puis libéré pour être incorporé, mi-octobre, dans un régiment en Bretagne. C’est là qu’il renouvelle sa demande de naturalisation française (il avait fait une première demande en 1933, reportée parce qu’il ne disposait pas de revenus réguliers). Il est employé en province, mais, rentré à Paris, il est à nouveau arrêté fin juin 1941 lors d’une rafle de communistes et de Russes blancs, ordonnée par les Allemands alors qu’Hitler lance ses armées contre l’URSS. Il est emprisonné dans le camp de Compiègne-Royallieu, mais est libéré dès septembre : comme d’autres, il profite de la colère des Allemands devant le résultat très médiocre de ces arrestations, l’arrestation de Russes blancs pour les uns et l’absence de preuves d’une action de résistance quelconque pour les autres.

1 Dissous dès 1937, mais remplacé par l’Union populaire arménienne.

Manouchian et le Groupe de l'Affiche Rouge

L'occupation allemande et la Résistance "L'affiche rouge"

L'occupation allemande et la Résistance "L'affiche rouge". Condamnés le 24 février 1944, les franc-tireurs du groupe FTP-MOI de Manouchian sont fusillés le même jour. Avec "L'affiche rouge", les Allemands tenteront vainement de présenter les "23" et leur chef, le poète arménien Missak Manouchian comme des criminels de droit commun.

L'occupation allemande et la Résistance "L'affiche rouge". Condamnés le 24 février 1944, les franc-tireurs du groupe FTP-MOI de Manouchian sont fusillés le même jour. Avec "L'affiche rouge", les Allemands tenteront vainement de présenter les "23" et leur chef, le poète arménien Missak Manouchian comme des criminels de droit commun.

Après sa libération, il s’engage dans la Résistance au sein de la « MOI » (Main d’œuvre immigrée) et est nommé bientôt responsable de la section arménienne, sous le pseudonyme de Georges. En février 1943, après de nombreuses chutes, le PCF souhaite renforcer la lutte armée. Avec, à sa suite, plusieurs Arméniens, il intègre les Francs-tireurs et partisans (dits « FTP ») de la « Main d’œuvre immigrée » les « FTP-MOI ». Manouchian rejoint le premier détachement comme combattant, avec le matricule 10300. Début juillet, il devient commissaire technique dans le triangle de direction, puis, début août, chef militaire des FTP-MOI, prenant la suite de Boris Holban qui constitua les FTP-MOI en avril 1942. Déjà affaibli par la répression, ce groupe d’une soixantaine de combattants à l’été 1943 n’en est pas moins à l’origine d’actions très spectaculaires. On y trouve toutes les nationalités, dont des Arméniens, des Hongrois, des Polonais des Roumains ou des Bulgares, ou encore beaucoup d’Italiens. Parmi les combattants venus d’Europe centrale, beaucoup étaient des Juifs. C’est l’un des rares groupes de la Résistance armée à pouvoir encore agir à Paris intra-muros, la plupart des groupes français restants agissant sur la périphérie : entre août et novembre 1943, les FTP-MOI réalisent des dizaines d’opérations dans Paris, dont l’exécution la plus spectaculaire, celle de Julius Ritter, le responsable en France du Service du Travail Obligatoire (STO). On imagine l’écho de ce type d’action, surtout auprès d’une population traumatisée par le STO qui les touche toutes, directement ou indirectement. Au-delà, on comprend que les actions militaires ont d’abord une dimension politique. Mais la consultation des répertoires de la préfecture de police qui listent les actions jour après jours, au-delà du nombre de militaires tués, suffit à imaginer que cette accumulation, jour après jour, était insupportable aux Allemands qui avaient fait de la sécurité des troupes d’occupation une priorité absolue, qui plus est à Paris.

Lettre Manouchian à sa femme © GIP

Cela fait des mois que ces groupes sont traqués par la police parisienne, et en particulier la deuxième Brigade des Renseignements généraux (BS2). Trois filatures vont se succéder de janvier à novembre 1943. Manouchian lui-même est repéré le 24 septembre, à l’occasion d’un rendez-vous avec le chef d’un des détachements, celui des Dérailleurs, Joseph Boczor, un ancien d’Espagne. Et c’est en suivant Manouchian que la BS2 repère quelques jours plus tard son supérieur, Joseph Epstein, chef des FTPF de la Région parisienne. Un mois plus tard, Joseph Dawidowicz, le chef politique des FTP-MOI, est arrêté ; on trouve beaucoup de documents dans ses planques et il parle beaucoup, au point qu’on a longtemps pensé qu’il était à l’origine de toute la chute, alors que celle-ci est due avant tout à la traque policière acharnée qui a duré de nombreux mois et que lui a été arrêté 3 semaines avant la rafle. Le 16 novembre, Manouchian, est arrêté à l’occasion d’un rendez-vous hebdomadaire avec Epstein. Le signal a été donné d’arrêter toutes les personnes filées : ils sont 68 à être arrêtés en quelques jours. Mélinée, la femme de Missak Manouchian, elle aussi résistante, échappe aux arrestations en se cachant chez des amis, les Aznavourian (les parents de Charles Aznavour), eux-mêmes résistants.

Les 23 identifiés comme francs-tireurs (22 hommes, dont Manouchian, et une femme, Golda Bancic) sont condamnés à mort devant une cour militaire allemande réunie à l’Hôtel Continental. Le grand procès de ce qu’on appellera après la guerre le groupe Manouchian s’ouvre le 15 février 1944. En parallèle, la propagande allemande réalise via une officine collaborationniste française une affiche représentant 10 des 22 hommes arrêtés (dont Manouchian), et listant les crimes dont ils sont accusés1. L’Affiche rouge est placardée dans les rues de Paris et dans de nombreuses villes dès avant le procès, afin de faire de la Résistance un mouvement terroriste animé par des « métèques » et des « judéo-bolcheviques ». Ce n’est pas un hasard si Epstein n’est pas inclus dans ce procès : arrêté soue le faux nom d’Estain, né au Bouscat près de Bordeaux, il est officiellement français et aryen, alors même qu’il s’agit d’un juif polonais. Il est donc jugé dans un autre procès mais sera, également, condamné à mort et fusillé.

1 Nombre d’attentats commis, et nombre de morts et de blessés engendrés.

« Bonheur ! à ceux qui vont nous survivre et goutter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. J’en suis sûre que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. »

Lettre de Missak Manouchian à sa femme Mélinée, le 21 février 1944

Le 18 février, les 23 membres des FTP-MOI sont condamnés à mort. Les 22 hommes sont fusillés le 21 février dans la clairière du Mont-Valérien, tandis que Golda Bancic est envoyée à la prison de Stuttgart, où elle est guillotinée le 10 mai, les Allemands n’exécutant pas de femmes en France.

Avant de mourir, Manouchian envoie une dernière lettre à sa femme.

Manouchian et le groupe de l’Affiche rouge sont entrés dans la postérité notamment grâce au poème « Groupe Manouchian » vite dénommé « Strophes pour se souvenir », écrit par Aragon en 1955 et popularisé par Léo Ferré sous le titre « l’Affiche rouge », lorsque celui-ci le met en musique en 1961. C’est aussi parce qu’il est poète qu’il entre ainsi dans la mémoire collective des Français.

Actuellement inhumé au cimetière d’Ivry-sur-Seine avec sa femme, Missak Manouchian entrera au Panthéon le 21 février 2024 par décision du Président de la République. Sa femme reposera à ses côtés. Avec lui ce sont les 23 de l’Affiche rouge et, au-delà, tous les étrangers résistants qui entrent au Panthéon.

Pour aller plus loin

L'histoire de Missak Manouchian, l'Arménien symbole des Résistants étrangers en France.

L'histoire de Missak Manouchian
© Léo Ferré

Ah
Ah-ah-ah-ah
 
Vous n'avez réclamé la gloire, ni les larmes
Ni l'orgue, ni la prière aux agonisants
11 ans déjà, que cela passe vite 11 ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans
 
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
 
Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos "morts pour la France"
Et les mornes matins en étaient différents
 
Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
"Bonheur à tous, bonheur à ceux qui vont survivre"
"Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand"
 
Adieu la peine et le plaisir, adieu les roses
Adieu la vie, adieu la lumière et le vent
Marie-toi, sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
 
Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée, ô mon amour, mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant
 
Ils étaient 20 et 3 quand les fusils fleurirent
20 et 3 qui donnaient leurs cœurs avant le temps
20 et 3 étrangers et nos frères pourtant
20 et 3 amoureux de vivre à en mourir
20 et 3 qui criaient la France en s'abattant
 
Ah-ah
Ah-ah
Ah-ah

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