L’exode vers la Libération 3/3

La famille Moulin, forcée de fuir Cesny-bois-Halbout, se déplace plus au sud de la région. Le voyage n’est pas sans risque, mais le petit Jean-Claude est trop jeune pour être tout à fait conscient de ce qui se passe autour de lui, il sublime le danger. C’est, enfin, la rencontre avec les libérateurs, les troupes de la 2eDB du général Leclerc.

Enfants et soldats américains fraternisant lors de la fête de libération de Metz le 22 novembre 1944 © Jacques Belin ; Roland Lennad / ECPAD / Défense

Mission Libération : Comment s’est passé votre départ de Cesny-bois-Halbout ?

Mes parents pensaient que la meilleure solution était de descendre plus vers le sud. Nous n’étions pas du tout au courant de la stratégie des alliés. 

Cette expédition ressemblait fort à la conquête de l’Ouest. Le convoi était composé de plusieurs charrettes tirées par des chevaux. Le cheval de l’attelage que conduisait mon père n’obéissait qu’à la voix de son maître, un fermier. Donc ça bouchonnait souvent sur la route et le fermier qui était sur un autre attelage devait « gueuler » ses ordres pour faire repartir le cheval. C’était une belle pagaille.

Ma mère suivait le convoi à pied car elle avait peur des chevaux et ne voulait pas monter dans une carriole. Elle était habillée comme elle en avait l’habitude, c'est-à-dire avec une robe drapée, une capeline et des talons aiguilles. C’était bien trop chic pour faire de la route, mais de toute façon, elle n’avait que ce genre d’affaires. N’empêche qu’avec son drapé c’était elle qui ramenait le plus de pommes de terre quand il fallait en ramasser pour le repas du soir, que nous prenions où l’on pouvait. Je vous l’ai dit, c’était sauvage, ça ressemblait à la conquête de l’Ouest.

Quand un avion survolait le convoi, mon père m’attrapait brusquement pour courir à travers champs et plonger sous un arbre ou nous jeter dans la boue. J’aimais bien ce jeu. Après la guerre, il n’a plus voulu jouer à ça.

« Quand un avion survolait le convoi, mon père m’attrapait brusquement pour courir à travers champs et plonger sous un arbre ou nous jeter dans la boue. J’aimais bien ce jeu. Après la guerre, il n’a plus voulu jouer à ça. »

ML : Jusqu’où êtes-vous allé avec ce convoi ?

Nous sommes allés jusqu’à Mortrée, pour constater au bout de quelques jours que nous nous étions littéralement « jetés dans la gueule du loup ». Le village était occupé par les Allemands, nous pensions être condamnés à revivre les mêmes événements qu’à Cesny mais tout semblait calme.

Nous logions dans une petite maison qu’on nous avait affectée à l’entrée du village. Mon père, afin de ne pas être réquisitionné pour le travail obligatoire en Allemagne, était obligé de justifier d’un emploi agricole. Ce qui fut fait grâce à la complicité du maire qui était gérant de l’épicerie du village. Donc papa devint ouvrier agricole, mais comme on dit, il n’avait pas le physique de l’emploi qui était trop dur pour lui. Le matin il traversait le village avec ses sabots, une fourche sur l’épaule pour faire plus vrai. Arrivé à la ferme, il « cassait la croûte » et revenait à la maison discrètement par les champs. Le soir, il faisait le chemin inverse.

Un jour, il a été convoqué à la kommandantur par un officier allemand pour qu’on examine son certificat de travail. Il était en règle, mais l’officier a demandé à voir ses mains. Elles étaient  blanches et bien soignées, l’Allemand l’a questionné : 

- Vous êtes vraiment ouvrier agricole ?

- Mon père le regardant dans les yeux lui a répondu :

On fait ce que l’on peut dans la vie, Monsieur !

- D’accord, a dit l’Allemand, mais le matin faites moins de bruit pour éviter de réveiller tout le quartier.

Mon père était « tombé » sur un bon.

ML : Votre père « travaillait » donc comme ouvrier agricole, et votre mère, que faisait-elle ? continuait-elle la couture ?

Même pendant cette période ma mère cousait. Le « bouche à oreille » fonctionnant dans le village, de nouvelles clientes arrivaient. Ce n’était pas de la grande couture ni de la création comme elle en avait l’habitude, mais elle faisait cela quand même de bon cœur, pour dépanner les gens. Parfois, elle était sollicitée pour des choses inattendues. Comme par exemple fabriquer des corsets avec de nombreuses poches pour y mettre des billets de banque. En effet, avec le marché noir, de grosses fortunes se créaient et il n’était pas question d’aller mettre cela à la banque.

ML : Comment s’est passée la libération du village où vous résidiez ?

Le village a été libéré par la division Leclerc, ce dernier ayant installé son poste de commandement dans la maison en face de la nôtre. Ça s'est bien battu dans le village et dans les environs. Nous étions à quelques kilomètres de la forêt d’Ecouves et les personnes qui s’intéressent à l’histoire de la bataille de Normandie ont entendu parler de la violence des combats dans ce secteur. 

Quand ça a « bardé » on se cachait dans les maisons et dès que les alliés reprenaient la situation en main on sortait les drapeaux, les brocs de cidre et les bouteilles de calva. Mon frère montait sur les chars pour distribuer tout cela à profusion, la maison que nous occupions ayant une cave bien garnie. Une fois la guerre finie, le propriétaire a voulu nous envoyer la note de ce qui manquait dans sa cave mais les gens du pays ont témoigné que nous avions tout distribué aux libérateurs, et ça s’est arrêté là.

« dans ma tête [les Américains] sont liés à un souvenir en particulier : « les bonbons éternels », pour reprendre mon langage d’enfant. [...] on mâchonnait comme des Américains, c’était la classe. »

ML : Parmi les libérateur, il y avait des Français mais aussi des Américains, en avez-vous rencontré ? 

Oui, et dans ma tête ils sont liés à un souvenir en particulier : « les bonbons éternels », pour reprendre mon langage d’enfant. Je veux parler des chewing-gums distribués par les alliés. Vous imaginez, on les suçait toute la journée et ça durait toujours. Le soir on les mettait sur la table de nuit et on les retrouvait le lendemain. Parfois on les coupait en deux pour en donner aux copains et ça finissait par ne plus avoir grand goût, mais on mâchonnait comme des Américains, c’était la classe. Il y avait aussi les tablettes de chocolat qui pétillaient, le Nescafé en poudre, toutes ces choses inconnues de nous jusqu’à présent.

Un jour, ces grandes vacances se terminèrent et ce fut le retour à Caen. Je me rappelle en arrivant, la traversée de l’Orne sur un pont Bailey monté par les Américains et la traversée de la ville rasée. La rue Saint Jean taillée au bulldozer au milieu des ruines.

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