La guerre partout, même loin du front 2/3

Le jour du débarquement, Jean-Claude, 5 ans et demi, est à quelques kilomètres à peine des plages du débarquement, dans le village de Cesny-Bois-Halbout. Dans le Calvados, comme partout en France, les civils ne sont nulle part à l’abri de cette guerre totale. Notre témoin se retrouve au milieu d’une division SS.

Des enfants jouent dans une rue de Nancy près d'un porche détruit. © Auteur inconnu / ECPAD / Défense

Mission Libération : Est-ce que vous vous souvenez où vous étiez et ce que vous faisiez le jour du débarquement ?

C’était un mardi. J'étais à Cesny-Bois-Halbout dans une ferme d’amis qui m’avaient emmené passer quelques jours à la campagne. Je n’ai pas de souvenir précis de cette journée, la bataille a eu lieu sur la côte et les grandes villes bombardées comme Caen. J’ai noté seulement un changement de comportement dans la famille qui m’hébergeait, quand ils se sont mis subitement à préparer des paquets. Alors que je jouais dans la cour, on m’a fait rentrer en catastrophe à la maison. Des avions sont passés au-dessus de la ferme et des éclats sont tombés du ciel. 

ML : Comment le petit enfant de 5 ans a-t-il vécu le stress de ces événements ? Vous étiez à quelques kilomètres à peine des combats. 

Je suis resté le même chenapan. Un matin, ayant été puni à la suite de je ne sais quelle bêtise, je me suis sauvé dehors quand les avions arrivaient. Devant les fermiers angoissés, j’ai accepté de rentrer à la seule condition que la punition soit levée. J’avais trouvé le filon : dès que j’entendais les avions, je sortais en courant sans prévenir, et je voulais bien rentrer uniquement quand tous mes caprices étaient exaucés.

Des bêtises j’en faisais comme les autres enfants, j’allais en douce dans la crémerie de la ferme manger de la crème à la cuillère. Un jour, me penchant trop j’ai basculé dans une grande jarre. Il a fallu me réanimer, mais j’aime toujours la crème.

ML : Des bêtises dans la crème, c’est presque banal pour un enfant, vous aviez l’air de mener une vie “normale”. 

Non, loin de là, c’était quand même compliqué tout ça pour moi. Le soir, comme tous les enfants avant d’aller au lit, il fallait faire sa toilette et bien se laver les pieds. Un soir, on m’a fait coucher habillé avec les chaussures dans le lit. Ne comprenant pas pourquoi, une fois seul dans la chambre, j’ai retiré mes chaussures. Lorsque les adultes s’en sont aperçu, j’ai été grondé et on me les a remises. Le lendemain je me suis réveillé, les draps pleins de terre, le départ prévu dans la nuit n’avait pas eu lieu. L’alerte passée, le surlendemain, la situation est redevenue normale. Je me suis fait gronder à nouveau car je m’étais couché sans me laver les pieds et j’avais sali mes draps. C’en était trop pour ma petite tête de cinq ans, j’avais l’impression que j’étais tombé dans une maison de fous. Un matin nous sommes partis vers Barbery dans une petite ferme que nous pensions moins exposée.

ML : En étant hébergé dans un village du Calvados, est-ce que vous étiez vraiment à l’abri des combats ?  

Un matin, le village où j’étais hébergé a été envahi. Le mot n’est pas de trop. C’était la division  SS Das Reich, arrivée du centre de la France via Oradour-sur-Glane. Heureusement, nous ne savions pas ce qui s’était passé là-bas (NDLR: Oradour sur Glane a été entièrement détruit par les Allemands le 10 juin 1944, qui ont massacré la population, faisant plus de 600 victimes, dont 207 enfants).

Ils ont installé une cantine au milieu de la ferme et nous ont forcés à rester sur place pour donner au site un semblant de vie normale. Ils avaient tendu un grand filet à travers la cour pour se protéger des observateurs aériens Alliés. Des batteries DCA ont été installées partout autour de la ferme et les soldats sont venus prendre leurs repas sur une grande table à manger qui prenait une grande partie de la cour.

Lors d’une soirée bien arrosée, ils m’ont demandé de monter sur la table pour chanter tout le répertoire de Tino Rossi que je connaissais par cœur, c’était l’idole de ma mère. Mes parents ont observé la scène derrière une fenêtre ne sachant quelle attitude prendre. Avec le recul, et ce qu’on a su d’eux, ils ont bien fait.

« Lors d’une soirée bien arrosée, [les SS] m’ont demandé de monter sur la table pour chanter tout le répertoire de Tino Rossi que je connaissais par cœur, c’était l’idole de ma mère. »

ML : Vous avez donc cohabité avec la tristement célèbre division SS Das Reich, responsable des massacres d’Oradour-sur-Glane, Tulle, Tourouvre etc...

Les Allemands étaient parfois très excités, ils envoyaient des patrouilles dans les environs et à voir leur tête au retour on avait une vague information sur la situation de la bataille. Il y a eu des incidents, les Alliés avaient la maîtrise du ciel. Un jour, survolés par un avion d'observation, ils ont réussi à l’abattre - il fallait voir l’acharnement des batteries - et ont même mitraillé le parachutiste qui avait réussi à s’extraire. Il fallait voir leur désarroi quand ils se sont rendu compte que c’était un des leurs... Ils imaginaient ne plus avoir d’avions à eux dans le ciel normand. 

Ils avaient comme cuisinier un prisonnier musulman, Mohamed. Celui-ci nous donnait souvent des victuailles en cachette. Un matin il s’est fait « la belle ». Nous avons revu Mohamed une fois la guerre finie, réincorporé et gardant des prisonniers Allemands, « c’est le retour de bâton » nous a-t-il dit. Nous l’avons reçu à la maison. Quand il a été démobilisé, nous lui avons donné des lettres et souvenirs à remettre à notre famille habitant Alger quand il y retournerait.

Quelques jours plus tard, le front évoluant, les Allemands ont déménagé les batteries et les quelques soldats restés à la ferme sont partis. Quant à nous, nous n’avons pas tardé à en faire autant pour essayer de trouver un secteur plus calme.

Vous souhaitez témoigner à votre tour ? Ecrivez nous au lien ci-dessous

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