Savoir-Faire - La restauration des oeuvres

Avec une infinie douceur, Élise Bachelet, l’une des trois restauratrices spécialisées du musée de la Marine, inspecte une dernière fois la fragile maquette de l’Océan, un vaisseau de 118 canons à trois ponts mis en service en 1790, qui vient tout juste de retrouver le Palais de Chaillot.

Musée de la Marine © Rémy Martin

Musée de la Marine

Rien ne manque à ce navire considéré comme l’aboutissement technique de l’ingénieur constructeur naval Jacques Noël Sané. Aucun cordage ne s’est détaché du gréement, les dorures sont intactes et tous les mâts sont bien en place malgré son transport à haut risque depuis les réserves ultra-modernes du centre de conservation et de restauration de Dugny (93), où elle a été stockée, puis minutieusement restaurée. Dans quelques instants, le voilier rejoindra le Royal Louis, 124 canons, un autre célèbre modèle d’instruction de plus de 5 mètres de long assemblé vers 1770 et destiné à la formation des officiers de l’école des gardes de la Marine de Brest. À l’époque de leur réalisation, ces maquettes avaient en effet de multiples usages. En plus de conserver une trace du savoir-faire de leurs constructeurs, elles servaient aussi à la formation des équipages. Leur taille réduite, leur maniabilité et la possibilité de les démonter rapidement permettaient notamment aux ingénieurs et aux officiers d’illustrer avec précision toutes leurs qualités nautiques, leur manœuvrabilité et leurs spécificités.

Chefs d'oeuvre emblématiques

Comme ces deux chefs-d’œuvre emblématiques du musée, l’exceptionnel décor de poupe en bois sculpté et doré de la Réale, une des galères de Louis XIV, est également passé par les ateliers de Dugny. « La Réale est incontestablement l’une des plus belles pièces de l’exposition permanente et illustre la magnificence des commandes officielles sous Louis XIV, explique Louise Contant, chef du département des collections. Les quatre panneaux monumentaux symbolisant la course du Soleil, incarné par Apollon sur son char, au milieu des saisons et des signes du zodiaque. La pièce qui représente le dieu entouré de toutes les divinités de l’Olympe est bien sûr une allégorie du Roi-Soleil, comme l’atteste la présence de fleurs de lys sur les harnais des coursiers et la devise royale. La scène est encadrée par deux grandes renommées qui soufflent dans des trompettes, par des tritons et des amours. Au sommet, un génie ailé porte un écu orné de fleurs de lys. L’ensemble est entièrement doré à la feuille et sa restauration a permis de retrouver le bleu à l’intérieur du blason qui avait totalement disparu sous les nombreux repeints. Avant les travaux, on ne voyait plus non plus les yeux des amours. À présent, on distingue même leurs pupilles. » Autre chantier d’envergure désormais terminé : la réinstallation des treize Vues des ports de France de Vernet, déposés par le musée du Louvre, dont les peintures et les cadres ont fait l’objet de toutes les attentions des restaurateurs avant d’être de nouveau exposés.

Maquettes et scaphandres

Aménagé en 2015 près de l’aéroport du Bourget pour recevoir dans des conditions de préservation optimales une partie des collections – plus de 30000 pièces –, le centre de conservation et de restauration de Dugny, qui accueille également la bibliothèque ouverte aux chercheurs sur rendez-vous, est la base arrière du musée de la Marine. Rien n’a été laissé au hasard. Ici, à chaque type d’objet son espace particulier. Maquettes, dont la plus ancienne est une barque funéraire égyptienne de la IXe ou de la Xe dynastie (environ 2000 avant J.-C.), tableaux de tous formats, instruments scientifiques, armes, accastillages, objets ethniques, scaphandres, tissus et uniformes, ont été rassemblés avant de trouver refuge dans l’une des quinze réserves dotées de conditions d’humidité et de température adaptées. Dans les ateliers souvent équipés de lampes imitant la lumière du jour, où travaillent une vingtaine d’experts et de spécialistes, presque tous les corps de métier sont représentés : travail du bois, préservation des cuirs et tissus, conservation des papiers et des photographies, restauration des peintures et des objets métalliques, etc. « Mais il n’y pas de restauration type, fait remarquer Élise Bachelet. Chaque objet nécessite une approche et une attention particulière et la méthode choisie est systématiquement celle qui sera la moins intrusive. Selon les cas, il faut quelques jours ou plusieurs mois pour retrouver un décor, rendre son lustre à un modèle réduit ou faire apparaître des détails oubliés sur une figure de proue. Par exemple, pour décaper une mature, j’ai parfois choisi d’utiliser de minuscules éponges imbibées d’eau déminéralisée ou des petits tampons de mousse fixés sur une pince. Mais nous pouvons aussi travailler à l’aspirateur sur de plus grosses pièces. C’est toujours différent, émouvant et passionnant. On se sent investi d’une mission et le plaisir de remettre en lumière une pièce, aussi infime soit-elle, est immense. » Pour réussir à refaire à l’identique les gréements des modèles réduits de navire à voile, les spécialistes ont notamment recréé une corderie en miniature qui permet de réunir par torsion plusieurs brins, exactement comme dans l’immense plan de travail de la Corderie royale de Rochefort. « Afin ne pas porter atteinte à l’histoire des objets, chaque restauration doit être visible avant d’être enregistrée dans un dossier de suivi, précise Elise Bachelet. Toutes nos interventions doivent être réversibles. Par exemple, lorsqu’il s’agit de recoller un élément, j’utilise de la colle pouvant être dissoute dans l’eau. De plus, la peinture ou les fils utilisés sont volontairement légèrement différents des originaux. Les restaurations permettent d’avoir une lecture globale de la vie de l’objet, mais elles ne doivent jamais tromper le visiteur. Le restaurateur est un passeur de savoir-faire. »

Tourné vers l'avenir

Si l’essentiel des quelque 900 pièces historiques – soit 90% des mêmes objets qu’avant la fermeture – sont revenues dans ce lieu magique, certaines ne sont plus exposées. Et parmi les trésors du musée que les visiteurs parisiens ne retrouveront pas, figure le fameux canot de l’Empereur. Construit en 1810 à l’occasion de la visite de Napoléon Ier au port d’Anvers et installé à grand frais en 1945, après avoir ouvert une brèche dans les murs pour le faire rentrer, il a quitté le Palais de Chaillot fin 2018 pour être restauré avant de trouver son « port d’attache » à Brest dans les anciens ateliers de réparation navale des Capucins, où il se révèle aujourd’hui dans toute sa splendeur. « Le musée de la Marine a su évoluer, lance Louise Contant. Et ses collections se tournent plus que jamais vers l’avenir. Notre regard sur la mer, le monde maritime, la Marine et les marins n’est plus le même qu’il y a seulement dix ans et notre approche patrimoniale est changeante. C’est pourquoi la conservation des objets est si importante. Les milliers d’artefacts et d’œuvres d’art abrités à Dugny nous permettent de disposer de réserves exceptionnelles dans lesquelles nous pouvons puiser à tous moments. » À l’image de ce rarissime coffre de marin en bois peint de médaillons animaliers retrouvé récemment dans les réserves par une chargée de collection. Daté de la fin du XVIIe siècle et jamais exposé jusqu’ici, il raconte une part intime et oubliée de la vie à bord des grands vaisseaux et vient compléter un parcours muséal en mouvement permanent.

Infos pratiques :

Ouvert de 11 h à 19 h du mercredi au lundi. Fermé le mardi. Nocturne jusqu’à 22 h le jeudi. Tarifs : entre 9 et 15 euros. Gratuit pour les moins de 18 ans et pour le personnel militaire et civil actif du ministère des Armées.

Partager la page

Veuillez autoriser le dépôt de cookies pour partager sur

Contenus associés