Les héritiers des Mousquemers, vous avez dit Cephismer ?

Placé sous l’autorité de l’amiral commandant la force d’action navale (ALFAN), le centre expert plongée humaine et intervention sous la mer (Cephismer) a été rebaptisé en janvier 2023. Cependant son origine est beaucoup plus ancienne puisqu’elle date de 1937. Elle est le fruit d’une rencontre entre deux hommes passionnés par la mer : le lieutenant de vais- seau Philippe Tailliez et l’enseigne de vaisseau Jacques-Yves Cousteau qui, avec Frédéric Dumas, ont formé le célèbre trio des Mousquemers.

Plongeurs testant un nouveau matériel de plongée © L. Bessodes/Marine nationale

Plongeurs testant un nouveau matériel de plongée

Depuis cette époque, le Cephismer, dont le nom a changé à plusieurs reprises, a toujours été pionnier. Tant dans le domaine de la plongée humaine autonome que dans celui des grands fonds, avec les bathyscaphes dans les années 1960, et plus récemment avec les premiers robots téléopérés (ROV).

Aujourd’hui, la soixantaine de marins du Cephismer a deux missions principales. La première est d’apporter son expertise dans le domaine de la plongée humaine pour l’ensemble des armées françaises pour toutes les catégories de plongeurs afin d’allier efficacité opérationnelle et sécurité. Dans ce cadre, sont menées des expérimentations comme en janvier 2024, lorsque trois plongeurs et un infirmier seront placés pendant six jours en caisson hyperbare avec une mise en pression à 100 mètres. L’objectif de cette plongée est de réacquérir les compétences et de réaliser des expériences de plongée encore plus profondes dans les années qui viennent.

La seconde mission du Cephismer est d’agir sous la mer avec des engins sous-marins. Pour ce faire, il utilise les ROV Ulisse et Diomède (jusqu’à – 2000 mètres), un système de détection et de recherche dénommé Slane pouvant travailler jusqu’à – 1000 mètres et enfin un système de récupération de torpilles pouvant opérer jusqu’à – 2 000 mètres. Il est également capable d’apporter son concours à un sous-marin en détresse posé sur le fond grâce à son système de ventilation sous-marine. C’est parce que le Cephismer est capable d’aller, de voir et d’agir jusqu’à ces profondeurs et qu’il possède en son sein des experts des opérations subaquatiques qu’il participe activement, pour la Marine, à la montée en puissance de la capacité maîtrise des fonds marins (MFM) jusqu’à 6000 mètres de profondeur. Une façon pour lui de renouer avec son passé et l’époque glorieuse des bathyscaphes. C’est le groupe d’intervention sous la mer (Gismer, lire aussi le portrait du premier maître Jean-Baptiste p. 40), au sein du Cephismer, qui mène aujourd’hui cette exploration. Preuve de l’importance pour la Marine d’atteindre les abysses, l’effectif de cette entité a été doublé en 2023. Les marins du Gismer mènent leurs expérimentations avec des matériels que loue la Direction générale pour l’armement (DGA) comme l’AUV Hugin du norvégien Konsberg, l’A18D du français Exail ou encore le ROV Charly de la société Louis Dreyfus-Travocéan. Objectif : mener d’ores et déjà des opérations par grands fonds, participer à la définition du cahier des charges des futurs matériels de la Marine, mais aussi apprendre et se former à l’utilisation de ces matériels.

 

Fonds marins et droit maritime international

Les espaces maritimes sont régis par la convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), dite convention de Montego Bay. Ce traité concilie le principe de liberté de navigation avec celui de souveraineté des États côtiers. Les fonds marins sont concernés par cet équilibre subtil : Montego Bay prévoit ainsi que les droits des États s’amenuisent à mesure que l’on s’éloigne de leurs côtes, passant d’une pleine souveraineté étatique sur la mer territoriale et son sous-sol marin jusqu’à 12 milles, à des droits plus limités en zone économique exclusive (ZEE) et sur son sous-sol (plateau continental) jusqu’à 200 milles au large. En effet, en ZEE, l’État côtier ne dispose plus que de droits souverains en matière d’exploitation des ressources et de droits de juridiction pour encadrer certaines activités comme la recherche scientifique marine ou la protection du milieu marin.

Au-delà, les fonds marins internationaux relèvent pour leurs eaux du statut de la haute mer, et pour leur sous-sol de celui de la « Zone », définie par la CNUDM comme patrimoine commun de l’humanité. L’autorité internationale des fonds marins, organisation créée par la CNUDM, est spécifiquement chargée d’encadrer l’exploration et l’exploitation des ressources minérales de cette zone internationale des fonds marins.

Dans ce cadre juridique segmenté, les câbles et les pipelines sous-marins constituent des infrastructures aux caractéristiques bien particulières : importance stratégique majeure, élongations sur de très longues distances et caractère international prononcé (propriétaires privés étrangers, tracé impliquant des plateaux continentaux et espaces maritimes de plusieurs États côtiers, etc.). Contrairement à l’exploitation des ressources en mer, le cadre juridique de ces infrastructures reste marqué par le principe de liberté de pose, de maintenance et d’enlèvement y compris en ZEE. Les règles de protection de ces installations sont donc relativement limitées et essentiellement centrées sur la mer territoriale. En ZEE ou en haute mer, cette vulnérabilité peut être exploitée par un acteur voulant mener une action hybride, comme l’a montré l’affaire des gazoducs Nordstream 1 et 2 en septembre 2022.

 

Trois questions à ...

Contre-amiral Éric Lavault, adjoint organique de la force d’action navale pour la maîtrise des fonds marins (MFM).

Cols bleus : Amiral, vous dépendez de l’amiral commandant la force d’action navale (ALFAN) et non de l’amiral commandant les forces sous-marines et la force océanique stratégique (ALFOST), pourquoi ?

Contre-amiral Éric Lavault : Toutes les marines ne sont pas organisées de la même façon. En Italie, l’officier en charge de la MFM relève des forces sous-marines. Chez nous, le chef de la conduite des opérations de MFM est sous-marinier ; en revanche, l’adjoint organique MFM relève d’ALFAN par souci de cohérence. Le Cephismer et les unités de guerre des mines étaient déjà placés sous son autorité, il était logique que je le sois également. Toutefois, tous les domaines de lutte sont impliqués : sous-marins, frégates, avions de patrouille maritime, satellites et sémaphores contribuent aux opérations de MFM. Il faut en effet surveiller nos compétiteurs et connaître leurs cinématiques (étude des mouvements en fonction du temps sans se préoccuper des causes, NDLR) pour avoir une situation maritime la plus précise possible. C’est une mission qui incombe à l’ensemble des capteurs de la Marine.

C.B. : Le Cephismer expérimente depuis 2022, avec les missions Calliope, des incursions vers les abysses. Quels enseignements tirez-vous de ces premières expérimentations ?

C-A E.L. : Le groupe d’intervention sous la mer (Gismer) du Cephismer participe à ces expérimentations, mais il ne le fait pas seul. En effet, le Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM), le Centre d’expertise des programmes navals (CEPN) et la Direction générale de l’armement (DGA) y contribuent aussi. Ce groupe pluridisciplinaire de talents constitue notre force dans cette expérimentation car chacun apporte sa compétence. Les matériels existant sur le marché, AUV ou ROV, sont actuellement testés lors d’opérations. Nous avons associé ces expérimentations à des enjeux opérationnels ce qui nous a permis d’en tirer plusieurs enseignements. Premièrement, il va nous falloir développer de nouveaux métiers : maintenance d’AUV et de ROV, opérateur de conduite ou encore superviseur des opérations par grands fonds puis, une fois ces spécialistes formés, il nous faudra les fidéliser en leur proposant un cursus de carrière attractif. Autre enseignement, la problématique du traitement des données. Une mission de quatre jours d’un drone génère 40 téraoctets de données : nous devons être en mesure de les stocker et de les exploiter. Enfin, nous allons développer une doctrine de mise en œuvre de ces matériels. Pour ce faire, nous pourrons nous inspirer de celles existant déjà pour les ROV et drones actuellement mis en œuvre par le Cephismer ou la flottille de lutte contre les mines.

C.B. : Quel sera l’impact de l’automatisation des drones sur les ressources humaines ?

C-A E.L. : L’automatisation des usines n’a pas conduit à la disparition des ouvriers. Lorsque des métiers disparaissent, de nouveaux se créent. Il n’y a pas de réduction d’effectifs en prévision. Aujourd’hui, on dénombre 90 marins au sein de la flottille de lutte contre les mines, ils devraient monter jusqu’à 300 à terme. Même chose pour le Cephismer, son effectif va croître. On s’attachera à maintenir la pyramide des grades, génératrice de compétences. Il n’y aura probablement pas d’école spécifique pour ces nouveaux métiers évoqués plus haut. La formation des plus jeunes s’effectuera chez les industriels, chez des partenaires comme l’institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), et surtout, au contact des anciens ou de réservistes spécialistes de l’intervention par grands fonds.

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