Libération de la Corse : le Casabianca, le sous-marin qui fit trembler le IIIe Reich

Direction : SGA / Publié le : 04 octobre 2023

A l’heure où l’armée allemande est encore puissante en Méditerranée, le Casabianca mène plusieurs expéditions périlleuses entre Alger et la Corse occupée. Pendant 10 mois, il débarque secrètement hommes, armes, munitions et contribue de manière décisive à la libération de l’île, le 4 octobre 1943. Rencontre avec Jean Martinant de Préneuf, chef de la Division recherche, études et enseignement du SHD.

Le sous-marin Casabianca © Musée de l’Ordre de la Libération

Alors que la flotte française se saborde à Toulon le 27 novembre 1942 pour échapper à l’armée allemande qui vient d’investir le port, le Casabianca parvient à s’échapper. Cette sortie ne doit rien au hasard : face au risque de voir leur bâtiment tomber aux mains de l’ennemi, le Capitaine de frégate L’Herminier et son équipage anticipent. Quelques jours avant l’attaque, ils stockent secrètement 100 mètres cubes de mazout dans les réservoirs et amarrent le sous-marin la proue face à la mer. L’équipage est entraîné de façon intensive à la procédure d’appareillage et de prise de plongée en urgence. Un maximum d’hommes sont réquisitionnés pour rester à bord.

Toulon ne répond plus

Le 27 novembre, aux aurores, alors que les premières explosions retentissent, le Casabianca appareille à 5h05 et parvient, hardiment, à s’extirper du port. Dans une rade illuminée par les fusées éclairantes de la Lutwaffe, le sous-marin brave le chenal étroit, se faufile entre les filets anti-sous-marins partiellement retirés, le tout sous une pluie de bombes et de mines allemandes : « L’une d’entre elle provoque même le déclenchement du compas, l’arrêt d’un ventilateur et des fuites dans les tuyautages intérieurs de carburant. Naviguant avec un potentiel dégradé, c’est à l’estime que le sous-marin rallie la haute mer » nous raconte Jean Martinant de Préneuf, chef de la Division recherche, études et enseignement du Service historique de la Défense.

Quelques heures plus tard, le jour s’est enfin levé sur la Méditerranée et les épaisses fumées noires au-dessus du port Toulon s’étirent haut dans le ciel. Le Casabianca fait route vers le sud à 40 mètres d’immersion, reprenant la vue toutes les heures. Au large des côtes françaises occupées, trois options s’offrent à lui : se saborder en eaux profondes, rejoindre un port neutre ou rallier l’Afrique du Nord. Le 28 novembre à deux heures du matin, le sous-marin rescapé met le cap sur l’Algérie. Deux jours plus tard, il effectue une entrée mouvementée dans le port d’Alger : « Le port d’Alger était gardé par la Royal Navy. Le Casabianca ne possédait pas les codes de reconnaissance et risquait d’être victime d’un tir fratricide, d’autant plus que la nouvelle de l’évasion des sous-marins n’est pas parvenue en Afrique du nord. Finalement, L’Herminier a décidé tout de même de faire surface mais sans pouvoir arborer de pavillon tricolore, l’appareillage s’étant fait dans la précipitation et aucun n’avait été trouvé à bord. Le drame a été évité de justesse ! » souligne l’historien.

Le Casabianca, l’arme secrète de la Résistance corse

Alors que les autorités d’Alger manquent d’unités de ce type, l’arrivée du Casabianca est une aubaine. Conçu pour effectuer des patrouilles océaniques, le sous-marin de 1 500 tonnes dispose d’une autonomie de 10 000 nautiques (18 520 kilomètres) qui lui permet de transporter plusieurs dizaines d’hommes ou jusqu’à vingt tonnes de matériel par rotation. « A ce moment-là de la guerre, les bâtiments équipés comme le Casabianca sont rarissimes car après 1939, la France a perdu des bateaux, puis il y eut les sabordages … c’est un sous-marin assez unique » explique Jean Martinant de Préneuf.

Le bâtiment peut ainsi s’approcher discrètement de nuit au plus près des côtes sur des points isolés, peu ou pas surveillés. Il offre la possibilité recueillir des renseignements sur les défenses ennemies, déposer et recueillir des agents, livrer postes de radio et armement. Pour ce faire, le Casabianca reçoit un équipement sommaire comprenant un youyou et de petites embarcations à fond plat. « Cette action est décisive. Elle donne à la Résistance les moyens de déclencher une insurrection le 8 septembre 1943 qui ouvre la voie au débarquement des forces françaises en Corse ordonné par le général Giraud (opération Vésuve). Si d’autres sous-marins effectuent ce type de missions, le Casabianca est celui qui en a exécuté le plus grand nombre » poursuit l’historien. Modèle de discrétion et de furtivité, les allemands lui donneront même le surnom de « sous-marin fantôme ».

« A ce moment-là de la guerre, les bâtiments équipés comme le Casabianca sont rarissimes. »

Jean Martinant de Préneuf

  • Historien au SHD

Parlez-nous des missions du Casabianca. En quoi consistait chacune d’entre elles ?

Jean Martinant de Préneuf : « Le Casabianca effectue sept missions sur les côtes corses de décembre 1942 à septembre 1943. Les missions sont réalisées grâce aux renseignements fournis par la Résistance et les Britanniques. La première mission dite Pearl Harbour a lieu du 11 au 14 décembre 1942. Il s’agit de débarquer quatre agents chargés d’établir un premier contact avec la Résistance et de récupérer un agent américain de l’OSS, dans la crique de Topiti, entre Pana et Cargèse, La mission est un succès et est riche en enseignements. Il est décidé d’opérer désormais lors des nuits de nouvelle lune qui procurent un bon éclairage pour l’approche des côtes, en début de nuit.

Du 5 au 7 février 1943, le Casabianca dépose deux radios, 450 mitraillettes et 60 000 cartouches en baie d’Arone, non sans difficultés là aussi. Il faut s’y reprendre à deux fois, passer une journée posé au fond dans le froid afin d’économiser les batteries. Le gouvernail est endommagé. Le 10 mars 1943, malgré une mer agitée et des difficultés pour établir le contact, le Casabianca parvient après une nouvelle nuit d’attente posé au fond, à récupérer des agents et cinq marins qu’il n’avait pu rembarquer lors des missions précédentes. Il débarque aussi, grâce à l’aide d’un pêcheur, deux agents transportant six millions de franc, quelques armes et des munitions. Les 1er et 2 juillet 1943, le Casabianca débarque en deux temps sur la plage de Saleccia Paulin Colonna d’Sitraia, un des chefs de la Résistance corse, et pas moins de 13 tonnes d’armes au moyen de plusieurs rotations entre le sous-marin et la côte. 

Le 30 juillet 1943, le sous-marin doit débarquer dans l’anse de Gradella 20 tonnes d’armes et de munitions. Mais, alors que les doris (sorte de petite barque ndlr) sont mises à l’eau, il doit rebrousser chemin sous les tirs allemands. Aucune perte n’est à déplorer. La cargaison est finalement cachée dans les nuits du 31 au 1er août puis du 1er au 2 août dans la baie de Curza. La Résistance parviendra à récupérer les armes. Du 5 au 7 septembre 1943, le Casabianca débarque à Capu di Fenu plusieurs agents et cinq tonnes d’armes tandis qu’il récupère un responsable de la Résistance. L’opération se déroule pour une fois sans difficulté.

Enfin, le 13 septembre 1943, le Casabianca débarque par surprise à 1 heure du matin dans le port d’Ajaccio les 109 hommes du 1er bataillon de choc chargé de sécuriser les approches du port pour préparer l’arrivée des premiers éléments du 1er corps d’armée. Pas moins de 170 hommes se sont entassés à bord pour permettre le débarquement des premières troupes françaises ayant débarqué en Corse ».

Qu’advient-il du Casabianca après la Seconde Guerre mondiale ?

J.MDP : « Après la libération de la Corse, le Casabianca participe aux opérations en Méditerranée pour le débarquement de Provence. Il s’illustre à nouveau en coulant le 22 décembre 1943 un patrouilleur allemand au large du cap Sicié, en endommageant un cargo italien le 28 décembre 1943 et un autre patrouilleur allemand le 8 juin 1944 au large du cap Camarat. Modernisé à Philadelphie, il est mis en réserve le 1er décembre 1947 puis démantelé en 1956. Son kiosque est récupéré et exposé sur les quais de la Seine lors du Salon nautique puis dans le port de Bastia ».

Quel souvenir, quel symbole garde-t-on aujourd’hui du Casabianca dans la culture militaire ?

J.MDP : « C’est une des unités les plus décorées de la Marine nationale. Le Casabianca est titulaire de six citations à l’ordre de l’armée et d’une citation à l’ordre du corps d’armée. Croix de guerre 1939-1945, il a reçu la médaille de la Résistance française le 3 août 1946 avec rosette de la Légion d’honneur. En hommage aux missions accomplies en 1943-1944, le commandement britannique lui remet le célèbre pavillon de tradition Jolly Roger, orné de la tête de mort et tibia entrecroisés des pirates, orné d’une représentation de la Corse, de 7 dagues pour chacune des missions de liaison effectuées et de barres blanches et rouges pour représenter les navires endommagés ou coulés.

Par la suite plusieurs navires de la Marine nationale ont porté ce nom, en particulier le SNA éponyme de classe Rubis qui vient d’être désarmé, et il a été décidé qu’un des SNA-NG classe Suffren reprendra le nom. Lors de la cérémonie qui a eu lieu récemment à Cherbourg pour le désarmement du SNA, le Jolly Roger était d’ailleurs à l’honneur, ce qui témoigne de la force du souvenir des opérations spéciales réalisées entre novembre 1942 et juin 1944. Elles continuent d’être considérées par la Marine nationale comme un exemple opérationnel, un levier de cohésion ainsi qu’un outil de rayonnement. Le 27 novembre 1942 est aussi devenu le jour de la fête de l’arme sous-marine afin de rendre hommage au tour de force de la sortie de Toulon ».

le Casabianca assure le transport d'armes et de munitions aux résistants corse © ECPAD

Sous-marin Casabianca ralliant Alger © ervice historique de la Défense

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