Geneviève de Galard : « Je n’ai fait que mon devoir »
28 mars 1954, 5h45, HanoÏ, Tonkin, nord de l’Indochine.
Le siège de Diên Biên Phu a commencé depuis 2 semaines, et dans cette cuvette de 18km sur 7, cent mille soldats communistes viet-minh ont encerclé quinze mille soldats francais. Geneviève de Galard est infirmière, convoyeuse de l’air. Elle est déployée dans cette colonie de la République depuis quelques mois, et ce matin, elle monte à bord du Dakota C-47 qui doit la transporter jusqu’à la cuvette, afin de rapatrier les blessés de la veille.
Rédaction : Marie-Laure BUISSON
28 mars 1954, 5h45, HanoÏ, Tonkin, nord de l’Indochine.
Le siège de Diên Biên Phu a commencé depuis deux semaines, et dans cette cuvette de 18km sur 7, cent mille soldats communistes viet-minh ont encerclé quinze mille soldats francais. Geneviève de Galard est infirmière, convoyeuse de l’air Elle est déployée dans cette colonie de la République depuis quelques mois, et ce matin, elle monte à bord du Dakota C-47 qui doit la transporter jusqu’à la cuvette, afin de rapatrier les blessés de la veille. Vers six heures, son avion a atterri en silence tous feux éteints, mais le réservoir d’huile a été percé par le fil barbelé longeant la piste. Les mécaniciens s’affairent autour de la carlingue mais à dix heures trente, alors que les rayons du soleil dissipent la brume de la mousson, le Viet-Minh aperçoit l’aéronef et l’engage aussitôt. Touché par les tirs de mortier, le Dakota est dévoré par les flammes. Geneviève comprend qu’elle ne pourra pas rentrer ce matin à Hanoï.
Elle doit attendre la prochaine rotation du soir, qui ne vient pas. Puis celle du lendemain, 30 mars, prévue en début d’après-midi. Mais voilà qu’à 16 heures, la puissance de feu de l’ennemi se déchaine sur le camp retranché : c’est l’offensive des cinq collines !
Un déluge de tirs assourdissants s’abat sur la plaine. La terre tremble à chaque explosion, les obus au phosphore quadrillent le camp en une course folle et macabre tandis que les cadavres s’amoncellent sur le sol. Dans l’abri sous-terrain qui sert d’antenne médicale, les blessés se serrent entre les lits, sur le sol boueux, dans les couloirs, aux pieds des infirmiers. Seule au milieu de tous ces hommes, Geneviève enjambe les suppliciés dans la pénombre. Les soldats aux membres déchiquetés sont entassés tant bien que mal à l’entrée du boyau servant d’accès à la salle d’opération. Ils sont à découvert, baignent dans leur sang. La chaleur est insoutenable, l’odeur écœurante. On entend les explosions qui viennent faucher ceux qui n’ont pas encore été mis à l’abri. La jeune femme sait maintenant qu’elle ne repartira plus à Hanoï.
Les jours passent et le camp est maintenant isolé du reste du monde : le quotidien de Geneviève s’organise autour de l’antenne-médicale du Médecin-Commandant Grauwin: l’homme cache son désespoir car il faudrait dix fois plus de personnel.
L’antenne centrale a été installée dans un abri sous-terrain : des rondins de bois et des sacs de sable servent à renforcer les parois et amortir le choc des explosions. Le plafond est tapissé de toiles de parachute. Sous seulement deux mètres de terre, les cheminées d’aération ont été bricolées avec les moyens du bord : des étuis d’obus et des petites plaques de bois. Un couloir étroit dessert une salle d’opération, une salle de réanimation, une salle radio et un dortoir où s’entassent des lits superposés métalliques. Partout, le manque d’aération et de luminosité génère une humidité malodorante. Il fait plus de cinquante degrés et les parois en terre pourrissent tandis que le bois se couvre de champignons. À chaque rafale d’obus, tout tremble. Mais Geneviève garde un moral inoxydable.
Les jours passent, les blessés sont de plus en plus nombreux et l’infirmière de 29 ans accourt, va de lit en lit, administre des piqûres, cherche la morphine, refait des pansements, caresse un front, donne à boire. Lorsqu’elle elle en a le temps, elle allume la cigarette de ceux à qui la guerre a arraché les mains. Puis elle décolle avec une infinie précaution les pansements des amputés : sa douceur rend supportables ces soins qui prennent des heures, et ces journées qui sont supplices. Par la grâce d’un sourire, d’une main posée sur un front, elle calme les angoisses, apaise les tourments et accompagne les mourants. Tous réclament sa présence.
Mais la défaite approche. Le 7 mai, à 17h, les canons se taisent et vient alors la longue attente. Admirable, Geneviève continue à s’occuper de ses blessés, alors même que l’ennemi a réquisitionné tout le matériel médical. Le Viet-Minh veut la rapatrier à Hanoï? Elle refuse d’abandonner les soldats.
Finalement, le 24 mai, après dix-sept jours de captivité, l’infirmière fait ses adieux à ses compagnons de souffrance, et monte à bord d’un Beaver qui la rapatrie à Luang Prabang. Le 8 juin, la France découvre à la Une de Paris-Match le visage de celle que le monde entier appellera bientôt « l’Ange de Diên Biên Phu ». Un ange qui, avec une humilité déroutante, répondra toute sa vie aux journalistes venus l’interviewer : « je n’ai fait que mon devoir »…
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