De l’Antiquité à l’époque moderne : le renseignement militaire au cœur de l’histoire nationale (1/7)

Direction : DRM / Publié le : 29 avril 2024

[SERIE] L’histoire du renseignement militaire nous rappelle combien le renseignement est un métier vieux comme la guerre, et comment il lui est intrinsèquement lié. Cette histoire, dont la Direction du renseignement militaire est aujourd’hui l’héritière, peut être retracée en sept épisodes. Le premier nous mène de Vercingétorix à Napoléon.

Vercingétorix a vaincu Jules César à Gergovie grâce au renseignement humain collecté sur le terrain. © Marie-Lan Nguyen/Wikimedia Commons/CC-BY 2.5

52 av. J.-C. : le renseignement à l’origine de la victoire fondatrice de Gergovie

Après son succès à Avaricum (Bourges), Jules César met le siège devant l’oppidum de Gergovie, où se concentre l’armée gauloise coalisée. Un plateau difficile à prendre, en raison de ses abords abrupts. « Située sur une montagne élevée, la place était, de tous les côtés, difficile à aborder », écrira le proconsul romain dans La Guerre des Gaules.

Alors, comment faire pour déloger les Gaulois ? César imagine une diversion : il ordonne à une colonne de bagagistes déguisés en soldats d’entamer un mouvement de contournement afin d’attirer les Gaulois hors des murs de la ville. Pensant tenir sa victoire, le chef romain déclenche l’attaque frontale et ordonne à une légion de gravir la pente jusqu’aux remparts. Mais César ignore que sa ruse a été repérée par un groupe d’observateurs qui fait immédiatement remonter ces informations au commandement de l’armée gauloise. Un renseignement-clé qui permet à Vercingétorix de mettre la colonne d’attaque romaine en déroute. Vaincu, Jules César doit lever le siège et opérer une retraite.

Considérée comme la première victoire de l’Histoire militaire nationale, la bataille de Gergovie reste le symbole de la résistance gauloise à la conquête romaine. Elle montre également le rôle central du renseignement, qui éclaire la prise de décision du commandement.

1066 : la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant ou le renseignement militaire au cœur d’un succès historique

Grâce à des agents déployés durant deux années sur le sol anglais, le duc de Normandie obtient, en 1066, des renseignements particulièrement précis sur l’armée et la flotte anglaises, ainsi que sur les potentiels lieux de débarquement (ports, courants marins, marées…). Sa conviction : l’Angleterre a les moyens de repousser toute tentative directe d’invasion1. Le duc de Normandie convainc alors deux de ses alliés (le roi de Norvège et le comte de Flandre) d’attaquer l’Angleterre en mer du Nord et ce, quelques jours avant de lancer sa propre offensive à travers la Manche. L’opération de débarquement est réalisée en toute sécurité et Guillaume remporte un succès historique face au roi Harold lors de la bataille de Hastings.

La tapisserie de Bayeux (XIe siècle) raconte le débarquement en Angleterre de 1066. © DR

1722-1774 : le Secret du Roi et l’institutionnalisation du renseignement militaire

Pour ancien qu’il soit, le renseignement militaire a, pendant de nombreuses années, essentiellement relevé de l’opportunité sans qu’aucune structure dédiée ne soit constituée. L’une des raisons tenait alors au fait que le pouvoir ne souhaitait pas assumer les actions de renseignement et cherchait à en masquer toute trace. L’existence du cabinet noir, chargé de l’ouverture des courriers sous Louis XIII (avec Richelieu) et Louis XIV, n’a ainsi jamais été reconnue officiellement. En 1722, le Secret du Roi consacre l’institutionnalisation du renseignement. Cette évolution répond à la fois à une nécessité conjoncturelle (la France devait placer un candidat sur le trône de Pologne) et à un changement de mentalité, le renseignement étant désormais assumé par le pouvoir.

La dimension militaire du Secret du Roi se précise à la faveur du profil de ses chefs (dont le marquis Charles-François de Broglie) et de ses missions. Il joue ainsi un rôle central lors des différentes guerres avec l’Angleterre, notamment en réalisant, sous le pilotage du marquis Louis-François Carlet de La Rozière, une étude précise du terrain, des points de débarquement possibles, des courants, des marées et de l’ordre de bataille de la Royal Navy. Ces travaux serviront ultérieurement durant la Guerre d’Amérique (1779- 1782), puis contre les première (1792-1797) et troisième (1803-1805) Coalitions.

Charles-François, compte de Broglie, marquis de Ruffec, né le 19 août 1719 à Paris. © DR

1799-1815 : derrière les succès de la Grande armée, une communauté du renseignement

Sous le Consulat et le Premier Empire, le renseignement militaire est une préoccupation permanente de l’Empereur. Plusieurs entités, unités, services contribuent à l’élaborer et la fusion de l’ensemble des productions est souvent réalisée par l’Empereur lui-même2.

Au niveau stratégique, le renseignement est réalisé par quatre entités :

  • le Dépôt de la guerre, chargé de rassembler une documentation exhaustive sur les adversaires potentiels. Il est divisé en une branche historique (ouvrages sur l’Histoire, les religions, les cultures, le Droit…) et géographique (cartes) ;

  • le Bureau de la statistique générale, chargé du renseignement politique, commercial, financier ;

  • les services diplomatiques, chargés de l’ordre de bataille des forces ennemies ;

  • le cabinet noir3, chargé des interceptions de correspondances.

Aux niveaux opératif et tactique, plusieurs savoir-faire sont mis en œuvre par les armées :

  • reconnaissance dans la profondeur par la cavalerie légère ;

  • infiltration d’agents chargés de conduire des manœuvres de déception (en 1805, Charles Louis Schulmeister infiltra l’état- major autrichien et permit la capitulation du général Mack à Ulm le 19 octobre 1805, moins de deux mois avant Austerlitz) ;

  • interrogatoire des prisonniers en vue d’obtenir tout élément sur les positions, mouvement et intentions des forces adverses.

Estampe d'Antoine Maxime Monsaldy : Napoléon Bonaparte consultant des cartes au Dépôt de la guerre. © gallica.bnf.fr - Bibliothèque nationale de France.

1Jean Deuve, « Les opérations secrètes de Guillaume le conquérant pour la conquête de l’Angleterre », in Éric Dénécé et Patrice Brun (sous la direction de), Renseignement et espionnage pendant l’Antiquité et le Moyen Âge, Centre français de recherche sur le renseignement, Ellipses, Paris, 2019, 508 p.

2Gérald Arboit, « Napoléon et le renseignement », Centre français de recherche sur le renseignement, Note historique n° 27, août 2009.

3Le cabinet noir apparaît de manière officieuse et ponctuelle sous l’Ancien Régime, sous le règne de Louis XIII sous l’impulsion de Richelieu. Cette pratique s’institutionnalise sous Louis XIV, pour lequel Colbert organise un cabinet noir. Ce dernier demeure sous les règnes et régimes suivants.

 

A RETROUVER

Episode 2/7  : Le 2e bureau, matrice du renseignement militaire contemporain : l'affaire Dreyfus

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