À Mainvilliers sous l’Occupation : le récit inédit d’un enfant entre l’attente, les bombardements et la liberté retrouvée

Michel, témoin direct de l’Occupation et de la Libération, vit dans le village de Mainvilliers, près de Chartres. Il a 8 ans au moment du débarquement en Normandie. 

Entre récits de la vie quotidienne sous l’Occupation, peur des bombardements, et attente fébrile de la Libération, Michel décrit une époque faite de peur, de courage et d’espoir.

Michel en 1945-46.

Comment s’est passée l’Exode ?

Je n’avais que six ans quand la guerre a commencé. Mes parents, mon frère âgé d’un an, la bonne Suzanne et moi avons dû fuir notre maison dans une vieille camionnette bâchée, remplie de tout ce que ma mère avait pu emporter. Elle avait même mis du désordre exprès dans la maison, pour faire croire que des voleurs étaient déjà passés.

Je ne comprenais pas grand-chose, mais je savais qu’on partait loin. On est arrivé dans une grande ferme à Savigny (Cher). Un jour des soldats français en déroute se sont arrêtés pour se reposer et jouer avec moi au ballon. Quelques jours plus tard, d’autres soldats sont arrivés. Ceux-là étaient en vert-de-gris. Je ne savais pas que c’était des Allemands. J’ai continué à jouer au ballon avec eux.

Comment s’est passée pour vous l’Occupation ?

Quand on est rentré à Mainvilliers après l’armistice, la guerre était partout. J’ai été mis en pension à Chartres. Chaque matin, on chantait “Maréchal, nous voilà !” en entrant en classe. Et je rentrais chez moi le week-end. Un jour, deux officiers allemands sont venus frapper à notre porte pour y être hébergés. J’étais dans l’escalier. Ma mère leur a ouvert avec mon petit frère dans les bras. Ils ont regardé l’exiguïté de notre maison, ma mère seule avec ses enfants. Ils ont compris, ont salué, et sont repartis. Ils ne sont jamais revenus.

Malgré cela, la présence allemande était partout avec les soldats en armes dans les rues. Ils représentaient une autorité silencieuse redoutée.

« Les soldats allemands représentaient une autorité silencieuse redoutée. »

Michel

  • Témoin de l'Occupation allemande et des débarquements

De quoi avez-vous souffert pendant cette période ?

Le rationnement de l'alimentation. On avait tous faim. Les week-ends servaient au ravitaillement à vélo dans les fermes situées à 10 km de la maison. J’étais le plus jeune, alors je partais en éclaireur pour vérifier que la route était libre. On ramenait des poules, des lapins, du blé, de l’avoine, de la viande, du beurre…C’était une mission dangereuse parfois interrompue par des bombardements.

On avait aussi un potager dans lequel ma mère cultivait des pommes de terre, des carottes, des haricots verts. Mais pour y accéder, nous devions ramper 200 mètres sous la menace des balles car des Allemands étaient postés dans le clocher de la cathédrale.

La distribution quotidienne du pain était une épreuve. Mon père pesait chaque matin notre part de pain avec une petite balance.

Michel chez lui en 2025.

Quelles étaient vos occupations à l’époque ? Vous faisiez des bêtises ?

Pendant l’occupation, j’étais très sérieux en raison de l’omniprésence des soldats allemands. Mais ensuite... On est allé jouer dans des endroits interdits.

Quand les Allemands ont quitté Chartres, on a retrouvé dans le bois de la Chaudière à Mainvilliers, des piles d’équipements abandonnées de 2 mètres de haut : il y avait des armes de toutes sortes, des canons, des casques, des masques à gaz, des obus avec douilles, des balles de fusil, des bandes de balles de mitrailleuses, des grenades à manche ou à main..., on jouait avec. Sauf avec les grenades parce qu’on connaissait les dégâts qu'elles faisaient grâce aux films d’actualité. 

On prenait des obus de canon avec douille qui avaient à peu près un mètre de long, puis on se mettait à deux. L’un tenait l'obus et sa douille entre les jambes, l’extrémité reposant au sol. L’autre - c’était moi - était allongé et guidait l’obus pour qu’il tape avec force au niveau de la jointure de la douille sur la pierre que nous avions posé en dessous. Après quelques coups, l'obus se descellait de la douille et on en récupérait des baguettes de salpêtre qui avaient un mètre de long et qui permettaient la mise à feu de l'obus. On descellait les obus par quantité et on se retrouvait avec des monceaux de salpêtre. Le jeu consistait à mettre le feu à l’extrémité de ces baguettes et de les jeter en l’air, à la nuit tombée, pour avoir le maximum d’effet. On était émerveillé n’ayant jamais vu de feu d'artifice.

Avec les balles de mitrailleuse, se trouvait, à l’intérieur, de la poudre qui ressemblait à de petites cartouches carrées. On faisait des lignes sur le sol avec de la poudre et on mettait le feu à ces alignements.

Il y avait une autre bande de copains dans le quartier qui faisait comme nous. Et un jour, un obus a explosé. Il y a eu deux morts, deux enfants de mon âge. Nous avons cessé définitivement de jouer avec les obus. 

« Un jour, un obus a explosé. Il y a eu deux morts, deux enfants de mon âge. Nous avons cessé de jouer avec les obus. »

Michel

  • Témoin de l'Occupation allemande et des débarquements

Qu’est-ce qui vous a marqué le plus ?

Les avions m’ont marqué à vie. J’entendais le vrombissement sourd des bombardiers américains accompagnés de chasseurs, passer au-dessus de la maison en direction de Chartres ou de l’Allemagne et les murs tremblaient sous les explosions des bombardements ou des obus de la DCA. Le terrain d’aviation allemand de Champhol n’était pas loin, alors les attaques sur Chartres étaient fréquentes (80 bombardements pendant la guerre dont 50 la dernière année).

J’ai vu aussi des combats dans le ciel entre chasseurs américains et allemands. Un jour, une superforteresse s’est écrasée à 2km de chez nous. J’ai enfourché mon vélo et j’ai vu, dans l’herbe les corps des aviateurs américains, morts. Je les revois encore 80 ans après.

La nuit, la DCA allemande tirait sur les avions. Une fois, un éclat d’obus est tombé du ciel en sifflant et est venu frapper notre toit. Le danger était partout. On vivait au rythme des alertes, toujours prêt à courir dans la tranchée que mon père avait creusée dans le jardin. Haute de 2m, elle était faite de poutres et de tôles recouverte de terre. Dès que la sirène sonnait, on courait s’y réfugier de jour comme de nuit. C’était devenu normal, on n’avait même plus peur. On voulait juste rester en vie.

Je me souviens aussi d’un bombardement en plein jour. On était à la maison, et soudain, un vacarme de moteurs a fait trembler les murs. Les avions ont lâché leurs bombes sur un entrepôt à cent mètres de chez nous, sans qu’on sache qu’il y avait aussi un dépôt d’essence. Le ciel est devenu noir de fumée. Ce jour-là, on n’a pas eu le temps d’aller à la tranchée, on s’est réfugié à la cave en espérant que la maison tienne. A la suite de ce bombardement, la rue était couverte d’éclats de bombes brûlants que je suis allé ramasser pour ma collection. Un éclat a même traversé la fenêtre et s’est planté dans le piano de mon grand-père. Il est encore là, comme un témoin silencieux de ces jours terribles. Je n’oublierai jamais ce bruit, ces explosions, ce ciel…

Je me souviens aussi du bombardement de Dreux dans la nuit du 10 au 11 juin 1944. Depuis notre fenêtre à l’étage, située à 35 km de cette ville, on voyait les incendies au loin. Le lendemain, on a appris qu’une cousine de mon père était morte, ensevelie dans sa cave.

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La libération de Chartres a été un grand moment pour vous ?

Grâce à Radio-Londres, depuis le débarquement, on suivait les avancées des Alliés sur une carte de France, avec des petits drapeaux.

Dans la nuit du 15 au 16 août 1944, j’ai assisté à de nombreux échanges de balles traçantes entre Mainvilliers et le centre de Chartres. Depuis notre tranchée, nous avons vécu les explosions, le sifflement des obus qui passaient au-dessus de nos têtes, le bruit des armes automatiques…

Au petit matin, de notre 2è étage, nous avons aussi pu voir avancer dans la plaine vierge de toute construction à l’époque, les chars de la 3ème armée Américaine de Patton en plusieurs lignes de front. Après une première incursion en ville avortée des troupes US, on craignait massacres et représailles, comme à Oradour. La peur était bien présente, alimentée par les rumeurs.

Après 4 jours de combats intenses en ville pendant lesquels nous étions à couvert dans notre tranchée vivant dans l’inquiétude permanente, j’ai trouvé des caisses de munition pleines de rouleaux de balles de fusil dans notre potager. Des combats dans notre jardin à 100 mètres de notre tranchée sans qu’on le sache !

Après ces jours de tension maximum, toute la population est sortie fêter les libérateurs. Ce fut la liesse. L’occupation était finie : nous courûmes à la rencontre des GI, qui distribuaient chocolats, chewing-gums et cigarettes. Les jeunes filles les embrassaient, les enfants tendaient la main. Mon père parlant anglais, des GI’s ont été invités à la maison. Ils arrivaient chargés de cadeaux et racontaient leur vie en Amérique. C’était la fête. C’était la liberté.

Le jour où le drapeau français a été hissé sur la cathédrale, le 19 août 1944, j’ai su que c’était vraiment fini. La guerre était derrière nous.

Je garde un souvenir précis du jour de la visite du général de Gaulle à Chartres, où j’ai pu l’apercevoir. C’est un très grand jour pour nous. 

Mais il y a eu aussi ensuite des vengeances qui m’ont choquées. J’ai vu des femmes tondues sur une scène, sous les rires de la foule. Elles attendaient leur tour, humiliées. Je ne comprenais pas pourquoi on leur faisait ça.

Tous ces souvenirs sont gravés à jamais dans ma mémoire. 

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