Très haute altitude : une stratégie ministérielle
Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a dévoilé ce mardi 17 juin au Salon du Bourget la stratégie française de très haute altitude (THA), un espace compris entre 20 et 100 km d’altitude, devenu un nouvel enjeu de conflictualité. Cette dernière s’articule autour de trois objectifs : détecter, intercepter et opérer.
Un espace aux confins de l’air et de l’espace
Avec le développement rapide des technologies aérospatiales, la très haute altitude (THA) s’impose comme une zone stratégique. Ni tout à fait aérienne, ni pleinement spatiale, cette bande d’atmosphère comprise entre 20 et 100 kilomètres d’altitude est désormais un espace convoité, à la fois pour ses atouts opérationnels et pour les défis qu’elle pose en matière de souveraineté. « C’est une zone grise, encore peu régulée, mais déjà au cœur des ambitions stratégiques de plusieurs puissances », a affirmé le ministre.
L’un des épisodes les plus emblématiques fut l’interception, en février 2023, d’un ballon de surveillance chinois par les États-Unis, après qu’il survolait leur territoire depuis plusieurs jours. Cet incident a illustré de façon spectaculaire la difficulté à détecter et intercepter des menaces évoluant dans cette couche atmosphérique, tout en révélant le potentiel stratégique de la très haute altitude pour le renseignement et la contestation discrète.
Des capacités accrues : allonge, permanence, survivabilité
Les aéronefs évoluant en THA, comme les HAPS (High Altitude Pseudo-Satellites), les ballons stratosphériques ou les drones solaires, offrent une allonge accrue, une permanence inédite et une survivabilité renforcée. Ces systèmes permettent de couvrir durablement des zones d’intérêt, avec des coûts réduits et une mise en œuvre plus souple que les satellites.
Côté défense, les armements hypervéloces comme les planeurs ou les missiles manœuvrants utilisent cette altitude pour contourner les défenses adverses. Les frappes russes en Ukraine ou les raids israéliens en Iran l’ont récemment démontré.
Détecter, intercepter, opérer : trois piliers d’une stratégie d’action
1. Détecter
Le ministère relance ses capacités d’alerte avancée. Le programme Nostradamus, radar transhorizon expérimental développé par l’ONERA pour le compte du ministère des Armées, sera modernisé dès 2025. Grâce à ses 12 hectares d’antennes en Normandie, il permettra la détection d’objets évoluant dans la THA, qu’ils soient hypervéloces ou au contraire très lents, comme les ballons stratosphériques.
Ce système au sol sera complété par la participation française au programme européen ODIN’s Eye, financé par le Fonds européen de défense. Ce projet vise à doter l’Europe d’une capacité satellitaire d’alerte avancée contre les missiles balistiques, hypersoniques ou antisatellites, dans le cadre du projet PESCO TWISTER.
2. Intercepter
La capacité à neutraliser des objets évoluant dans la très haute altitude est renforcée grâce à des expérimentations menées par l’Armée de l’Air et de l’Espace, la DGA et le CNES. Les Rafale (standard F5), les Mirage 2000 et les missiles Aster B1 NT sont mobilisés pour adapter la chaîne d’interception à cette couche complexe de l’atmosphère. « Il faut se demander jusqu’à quelle altitude nos systèmes d’armes peuvent encore agir efficacement », a souligné le ministre.
3. Opérer
La France entend occuper activement cette zone avec des plateformes nationales, dans une logique de souveraineté technologique. Trois projets structurants sont accélérés dès 2025 :
- BalMaN, ballon manœuvrant destiné aux missions de surveillance, de connectivité ou de secours ;
- Zephyr, drone solaire à très longue autonomie ;
- Stratobus, dirigeable stratosphérique développé à Istres, conçu pour opérer dans des zones contestées.
Un enjeu de souveraineté dans une zone grise du droit
L’une des difficultés majeures de la THA réside dans l’ambiguïté juridique qui entoure cette couche atmosphérique. La Convention de Chicago de 1944, qui régit l’aviation civile internationale, établit la souveraineté complète des États sur l’espace aérien au-dessus de leur territoire. Mais elle ne précise pas à quelle altitude cesse cet espace aérien.
À l’inverse, le Traité de l’espace de 1967, fondement du droit spatial international, pose que l’espace extra-atmosphérique est libre d’accès et ne peut faire l’objet d’appropriation nationale. Mais lui non plus ne définit pas précisément où commence l’espace.
Résultat : la zone entre 20 et 100 km d’altitude reste juridiquement floue — ni pleinement régie par le droit aérien, ni entièrement couverte par le droit spatial. Cette incertitude alimente une compétition croissante entre puissances, dans une zone où les capacités techniques à détecter, intercepter ou opérer restent limitées. « Il ne s’agit pas de revivre le retard pris sur les drones. Nous devons être présents dès maintenant dans cet espace émergent », a martelé Sébastien Lecornu.
La stratégie française s’accompagne donc :
- de la création d’une unité militaire dédiée aux HAPS à l’horizon 2030,
- du renforcement des coopérations avec les alliés (UE, OTAN), les opérateurs étatiques (DGAC, CNES, Météo France) et les industriels innovants,
- d’un suivi actif des évolutions réglementaires, notamment dans les enceintes civilo-militaires françaises et internationales, pour garantir la liberté d’action des armées dans la THA.
Une réponse stratégique aux besoins civils et militaires
La très haute altitude présente également des usages civils prometteurs, notamment pour la connectivité des zones isolées (Outre-mer, zones maritimes), la surveillance environnementale, ou encore la sécurisation d’infrastructures critiques, comme le Centre spatial guyanais à Kourou.
« La Polynésie est grande comme l’Europe, la Guyane comme le Portugal. La THA permet d’y répondre à moindre coût et avec plus de souplesse », a souligné le ministre.
Avec cette stratégie, les armées françaises affirment leur volonté de ne pas subir les ruptures technologiques mais de les anticiper, en s’engageant résolument dans un nouvel espace de conflictualité. Dès les prochains mois, des démonstrations opérationnelles, des expérimentations technologiques et des coopérations renforcées viendront traduire cette ambition en actes.
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