Comment l’Affiche rouge a transformé Manouchian en héros
[Esprit défense n°10] Le 21 février 1944, Missak Manouchian était fusillé au Mont-Valérien. Malgré la propagande de l’« Affiche rouge » et un procès à sens unique, les nazis n’ont jamais réussi à le faire passer pour un simple malfaiteur, bien au contraire. Son entrée au Panthéon, ce mercredi 21 février, sonne comme un ultime hommage. Cet article est tiré du prochain numéro d’Esprit défense publié fin février 2024.
« Ils ne sont pas parvenus à leur faire de sales gueules1. » Devant l’une des affiches placardées dans toute la France, une femme interpelle son compagnon. Cette affiche, c’est « l’Affiche rouge », dont les 15 000 exemplaires ont été collés par les Allemands sur tous les murs du pays, à la mi-février 1944. Elle met en scène les portraits de dix hommes. Encore méconnus de la plus grande partie de la population, ils sont qualifiés tour à tour d’« Espagnol rouge », de « communiste italien » ou encore de « juif polonais ». L’un d’eux tient une place centrale. Il est arménien et répond au nom de Missak Manouchian, un « chef de bande » supposément responsable de 56 attentats, 150 morts et près de 600 blessés2.
« Voici la preuve. Si des Français pillent, volent, sabotent et tuent… Ce sont toujours des étrangers qui les commandent. Ce sont toujours des chômeurs et des criminels professionnels qui exécutent. Ce sont toujours des juifs qui les inspirent. C’est l’armée du crime contre la France », ajoutent des tracts distribués en parallèle sur la voie publique, à propos des hommes figurant sur l’Affiche.
Combattre pour la France des droits de l’homme
Les deux années précédentes, Missak et ses camarades ont en effet multiplié les opérations contre les nazis. Ces derniers souhaitent donc se venger à travers un procès qui se tient du 15 au 18 février 1944, à l’hôtel Continental de Paris. Au total, sur le banc des condamnés à mort, 22 hommes et une femme. Vingt-trois résistants issus du groupe des Francs-tireurs et partisans – Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI), dont l’antenne parisienne est dirigée depuis août 1943 par Missak Manouchian. « La plupart de ces combattants sont juifs et militants du parti communiste. Originaires d’Arménie, de Pologne, de Hongrie, d’Italie ou encore d’Espagne, ils ont fui les persécutions des régimes autoritaires de leur pays. Ils se retrouvent alors dans une France occupée à l’opposé des valeurs humanistes qu’ils chérissent. Celles de la France des droits de l’homme », explique Denis Peschanski3, historien de la Seconde Guerre mondiale et coauteur de Manouchian4.
Dès 1942, l’action des FTP-MOI instille un climat de peur dans les rangs ennemis. Missak participe ainsi à sa première opération le 17 mars 1943, à Levallois (Hauts-de-Seine). Une mise à l’épreuve au cours de laquelle il lance une grenade sur des soldats allemands. Bilan : un mort et plusieurs blessés. Déraillements de trains, poses de colis piégés et embuscades rythment les activités du groupe de résistants. Sous la direction de Missak Manouchian, les FTP-MOI réussissent leur grand coup d’éclat, le 28 septembre 1943, avec l’assassinat de Julius Ritter, responsable du Service du travail obligatoire5 pour la France. Sa mort a un retentissement énorme auprès des forces allemandes, qui s’en effraient, et auprès de la population française, qui s’en réjouit.
Des « assassins » transformés en héros
Face à ces attaques à répétition, les nazis et le gouvernement de Vichy s’accordent sur un point. « La traque des FTP-MOI est confiée aux brigades spéciales de la préfecture de police de Paris. La raison est simple : elles connaissent le terrain et excellent dans l’art de la filature, une spécialité française. Trois filatures s’enchaînent à partir de janvier 1943. Elles aboutissent à l’arrestation de Manouchian et de la plupart de ses compagnons en novembre de la même année », rappelle l’historien.
« Des héros qui vont rester dans la mémoire collective. »
- Coauteur de Manouchian
Le procès, qui se déroule à huis clos, ne laisse pas de place au doute quant à son dénouement. Les 23 accusés sont condamnés à mort. Le 21 février 1944, ils sont 22 à être fusillés dans la clairière du Mont-Valérien, à Suresnes (Hauts-de-Seine). Les Allemands ayant comme règle de ne pas exécuter de femmes sur le territoire français, Golda Bancic est quant à elle transférée en Allemagne, où elle est guillotinée le 10 mai 1944.
« Finalement, l’Affiche rouge va manquer sa cible et se retourner contre ses commanditaires. En voulant présenter ces hommes comme de vulgaires assassins, les nazis leur ont conféré une notoriété qu’ils ne possédaient pas et ils les ont transformés en héros aux yeux de la population. Des héros qui vont rester dans la mémoire collective », conclut Denis Peschanski. Cette fameuse affiche deviendra même l’un des symboles de la Résistance après la guerre, à tel point qu’elle sera reprise dans un poème de Louis Aragon6, puis mise en chanson par Léo Ferré7.
Par EV1 Antoine Falcon de Longevialle.
1 Phrase tirée d’un article paru en mars 1944 dans Les Lettres françaises, journal de mouvance communiste.
2 Les chiffres sont en réalité largement exagérés.
3 Directeur de recherche émérite au CNRS, Denis Peschanski est également président du conseil scientifique et d’orientation de la Mission Libération.
4 Éditions Textuel (2023).
5 Le STO a été organisé progressivement par une série de lois promulguées en 1942-1943.
6 Strophes pour se souvenir (1955).
7 L’Affiche rouge (1961).
Le saviez-vous ?
« Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement », écrivait Missak Manouchian le jour de son exécution, dans une ultime lettre destinée à sa femme Mélinée. C’est chose faite avec son entrée au Panthéon le 21 février 2024, 80 ans après sa mort. Il est ainsi devenu le premier résistant étranger et le premier résistant communiste à accéder au temple des grandes figures de la République.
Cet article est tiré de la revue du ministère des Armées Esprit défense n°10 publié fin février.
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