Bilan des opérations aérospatiales après trois ans de guerre en Ukraine

Direction : Ministère des Armées / Publié le : 28 février 2025

L’emploi de la puissance aérienne a soulevé de nombreuses interrogations et offert des enseignements stratégiques et tactiques majeurs depuis le début du conflit en Ukraine, en février 2022. Le général de division aérienne Pierre-Stéphane Vaysse* a partagé ses analyses sur les opérations aérospatiales menées sur le terrain ukrainien et leurs implications pour la préparation des forces françaises à la haute intensité lors du point presse du ministère des Armées, jeudi 27 février.

Général de division aérienne Pierre-Stéphane Vaysse, sous-chef d’état-major « activités » de l’AAE © Tanguy Barbancey / Ministère des Armées

*Sous-chef d’état-major « activités » de l’armée de l’Air et de l’Espace

Un constat majeur : l’absence de supériorité aérienne

L’un des enseignements fondamentaux du conflit ukrainien réside dans l’incapacité des deux belligérants à obtenir la supériorité aérienne. Malgré un rapport de force initialement très favorable à la Russie, l’aviation russe n’a pas réussi à dominer le ciel ukrainien. Plusieurs facteurs expliquent cette situation.

Une planification défaillante et un emploi limité des forces aériennes russes

Dès le 24 février 2022, l’offensive aérienne russe a surpris par son manque d’intensité et de préparation. L’absence de frappes massives et coordonnées contre les défenses antiaériennes ukrainiennes a permis à ces dernières de survivre et de continuer à menacer l’aviation russe. La bataille de l’aéroport de Hostomel, le 25 février 2022, en est une illustration. Ce jour-là, un groupe de parachutistes russes transporté par hélicoptères y a été décimé par la résistance ukrainienne.

Une résilience et une adaptation rapide de la défense ukrainienne

Face à un adversaire technologiquement et numériquement supérieur, l’Ukraine a mis en place des stratégies de déception, de camouflage et de mobilité afin de préserver ses moyens de défense aérienne.

Une intégration interarmées limitée du côté russe

L’absence de synergie entre les différentes composantes des forces russes, notamment entre l’aviation et l’artillerie, a réduit l’efficacité des opérations aériennes, cantonnant l’aviation à un rôle de soutien aux forces terrestres.

En conséquence, le conflit s’est transformé en une guerre d’attrition où « l’absence de supériorité aérienne a conduit à un retour à des combats terrestres de type guerre de tranchées », explique le général Vaysse.

Une évolution de la guerre aérienne : frappes à distance et drones de masse

Face à l’impossibilité de dominer le ciel, le conflit a vu émerger une nouvelle dynamique : la montée en puissance des frappes dans la profondeur du territoire adverse.

Depuis le premier jour du conflit, la Russie a mené des campagnes de frappes stratégiques sur l’Ukraine, utilisant missiles de croisière, missiles balistiques et, progressivement, des drones « suicide » comme les Shahed iraniens, rebaptisés et adaptés par l’industrie militaire russe. Ces armes peu onéreuses et produites en masse permettent de saturer les défenses adverses et d’épuiser les stocks de munitions antiaériennes.

De son côté, l’Ukraine a également développé des capacités de frappe en profondeur, utilisant des drones de fabrication locale et le réseau Starlink pour mener des campagnes de ciblage bien au-delà de la ligne de front. Les frappes ukrainiennes ont ainsi ciblé des infrastructures critiques en Russie, notamment des bases militaires et des navires en mer Noire, démontrant l’importance des capacités de projection à longue portée.

Se préparer à la haute intensité

Tirant les enseignements de ce conflit, l’armée de l’Air et de l’Espace adapte dès à présent sa préparation et ses capacités en vue d’éventuels affrontements de haute intensité. Trois domaines prioritaires ont été identifiés.

Un besoin de masse et de diversification des munitions

La guerre en Ukraine a démontré l’importance du volume de munitions disponibles. Pour le général Vaysse, l’armée de l’Air et de l’Espace doit donc :

  • renforcer son stock de munitions de précision pour conserver un avantage technologique et frapper des cibles à haute valeur ajoutée tout en développant des munitions moins coûteuses et produites en grande quantité. Notamment des drones d’accompagnement capables de saturer les défenses ennemies et d’ouvrir la voie aux frappes décisives ;
  • adapter ses capacités de défense en intégrant une approche multicouche contre les attaques saturantes de drones et de missiles, combinant radars, canons antiaériens et brouillage électronique.

La réappropriation du spectre électromagnétique

« Le conflit ukrainien nous rappelle que les enjeux électromagnétiques sont majeurs sur le champ de bataille », indique le général Vaysse. Pour garantir la liberté d’action dans un environnement contesté, plusieurs axes sont prioritaires :

  • détecter et brouiller les systèmes adverses pour perturber leur commandement et leur ciblage grâce à des systèmes offensifs ;
  • renforcer la protection de nos plateformes face aux menaces électromagnétiques et infrarouges ;
  • se doter de missiles dédiés à la suppression des défenses aériennes (SEAD), capables de neutraliser les radars et les batteries sol-air ennemies.

Le renforcement des capacités spatiales et de très haute altitude

L’espace joue un rôle clé dans la guerre moderne, notamment pour l’observation et le renseignement. « Les Russes ont utilisé leurs satellites pour alimenter un processus de ciblage mais leur efficacité a été faible. De leur côté, les ukrainiens, ne disposant d’aucuns moyens patrimoniaux, se sont retrouvés complètement dépendants de services fournis par les Occidentaux comme l'opérateur privé Starlink », concède le général Vaysse.

Pour compenser le cout unitaire de nos satellites, il préconise donc de constituer un noyau de moyens souverains complété par l’achat de services commerciaux développés par des entreprises civiles.

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