La navigabilité vue par la Marine

La navigabilité, un outil au service de l’autorité d’emploi Marine nationale

L’aéronautique militaire est une activité exceptionnelle. Réaliser dans la durée des missions complexes en environnement dangereux et dégradé avec du matériel de pointe nécessite une culture robuste de la gestion des risques et un investissement permanent de chacun. Chaque autorité d’emploi se distingue par ses spécificités, liées à ses missions et son environnement, mais l’objectif de sécurité aérienne est commun et intrinsèque au métier : s’assurer de la maîtrise du retour au sol de ce qui aura été élevé dans les airs.

Mais la sécurité aérienne est profondément ingrate, on n’a pas réellement d’indicateur rendant compte que l’on travaille bien, seulement des rappels inopinés et parfois violents que quelque chose ne s’est pas déroulé comme attendu. Face à cette obstination de la réalité, l’expérience montre que rigueur, transparence et capacité de remise en question sont les remparts complémentaires les plus adaptés (mais excessivement prosaïques).

Dans ce contexte, la navigabilité, en déclinaison de l’ambition portée par le programme de sécurité de l’aéronautique d’État, est un outil au service de l’autorité d’emploi Marine nationale pour capitaliser sur ces trois valeurs et œuvrer en confiance.

Marine Nationale

Rigeur

Comme le rappelle l’adage « aviate, navigate, operate » (D’abord s’assurer que l’on se maintient dans les airs pour ensuite savoir où aller et enfin seulement réaliser des opérations), martelé par l’autorité commandant la force d’aéronautique navale (ALAVIA), toute activité aérienne repose sur une maîtrise absolue des bases du métier. La navigabilité n’est essentiellement qu’une formalisation des bonnes pratiques du milieu (certification du matériel pour le volet maintenance, formation, utilisation de la documentation, contrôle, partage des tâches, traçabilité). L’anticipation y joue une place essentielle pour évaluer à l’avance l’impact de ce que l’on pourrait être amené à faire (listes de capacités, listes minimum d’équipements). Aller vite dans l’action demande de prendre son temps dans la préparation.

C’est la maîtrise de ce cadre qui permet ensuite d’en explorer les contours en conscience (report de traitement de petits défauts, tolérances), et de pouvoir en sortir exceptionnellement, en maîtrisant les risques pris, quand les circonstances l’imposent (article 10).

Transparence

Malgré tous ses efforts, l’Homme reste faillible et doit compter sur une organisation pour l’assister. À cet égard, la navigabilité a permis une remise à jour de l’ensemble du corpus réglementaire technique aéronautique qui a ainsi gagné en lisibilité et en pertinence. La transparence des activités (guides, traçabilité) et la mise en place d’un contrôle externe permettent de croiser les regards et augmentent les chances d’identifier des erreurs (examen de navigabilité, audits d’organismes).

Faire appel à la DSAÉ, organisme de contrôle indépendant, apporte à la Marine une vue objective de la situation, le confort de s’appuyer sur un oeil affuté par des contrôles réalisés au sein d’autres autorités d’emploi et surtout sans les biais induits par les contraintes et pressions internes, conscientes ou non.

Il est essentiel que cette surveillance soit réalisée avec bienveillance car elle doit être accueillie de manière volontaire même si elle est parfois douloureuse.

Capacité de remise en cause

La sécurité des vols impose de travailler avec humilité et savoir se remettre en question à tous les niveaux : il est largement « préférable d’être rouge de honte que noir de m... ». L’organisation doit être capable d’introspection, d’exploitation des signaux faibles (pertinence d’un croisement des expériences entre armées) et du retour d’expérience (examen de navigabilité, comptes rendus de faits techniques) pour éviter de reproduire des erreurs déjà commises (réunion technique de navigabilité, mise à jour du plan d’entretien approuvé). Les audits, tant dans leur préparation que dans l’échange avec l’auditeur et dans l’analyse du compte-rendu, sont l’occasion de s’interroger sur le travail réalisé et sur les méthodes utilisées.

C’est cette capacité de remise en cause qui motive la réflexion sur la navigabilité elle-même. Elle doit permettre d’identifier les sur-spécifications éventuelles, de s’interroger sur les apports des différentes pratiques, d’évaluer la réelle effectivité du processus sur le maintien ou l’amélioration de la sécurité des vols, ou de gagner des marges de manoeuvre à mesure que la connaissance mutuelle s’accroît.

Il est ainsi crucial d’être vigilants aux risques induits par une sur-protection (déresponsabilisation, déviances10) : le poids de la cuirasse ne doit pas déstabiliser le bateau.

Œuvrer en confiance

Ainsi la navigabilité permet à l’autorité d’emploi Marine nationale de formaliser l’expérience métier pour améliorer la sécurité des vols et générer de la confiance, en interne et vers l’extérieur.

Ce but est réellement porté par le commandement, les engagements des dirigeants responsables œuvrant au service de l’autorité d’emploi sont effectifs et animent les échanges. La navigabilité a un coût, mais il est accepté pour effectuer un travail de qualité et atteindre le niveau de sécurité attendu des armées.

La navigabilité n’est pas la mère de toutes nos difficultés, mais le révélateur de certaines d’entre elles. C’est un indicateur nécessaire de l’évolution de l’état des moyens pris en compte pour réguler l’activité.

Et la confiance générée est potentiellement source de simplification, d’amélioration de l’interopérabilité et de l’efficacité. L’environnement contrôlé du Rafale permet ainsi des échanges interarmées jusqu’alors inenvisageables. Il faut poursuivre dans cette voie.

Enjeux à l'avenir

Afin de poursuivre dans l’amélioration de la sécurité des vols et de l’antifragilité11 de nos organisations, une réflexion sur l’adaptation de la navigabilité aux enjeux numériques doit être menée.

La numérisation des systèmes aériens et de leurs systèmes de soutien, techniques et opérationnels, amène un risque cybernétique au travers de la maîtrise de la configuration des systèmes, de leurs vulnérabilités, de leurs comportements et de la gestion des modes dégradés. La prise en compte de ce risque au titre de la navigabilité initiale, de son suivi et de son maintien, est essentielle et présente un enjeu de compétence majeur.

En particulier, l’intégration numérique impose à l’ensemble de la chaîne industrielle de prendre une part active dans la sécurité de nos moyens. Les systèmes de conception, de fabrication et de maintenance (outils d’analyse, de gestion, bancs), les systèmes numériques embarqués, les informations numérisées (documentation, livrets de suivis), fournis ou utilisés par l’industrie doivent être pensés, maintenus (maintien en condition de sécurité) et surveillés en prenant en compte le rôle systémique de leur cyber-sécurité dans la sécurité des vols.

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